Composé de
trois atomes d'hydrogène et d'un atome d'azote, on le reconnaît notamment à son
odeur nauséabonde, que ce soit au sein de produits de nettoyage ou d’engrais
hautement toxiques. Plus récemment, des scientifiques lui ont découvert une
caractéristique potentiellement révolutionnaire, en l’utilisant comme source
d'énergie. Certains estiment d’ailleurs que le composé est en bonne voie pour remplacer les énergies fossiles dans toutes leurs applications. Aujourd’hui, on
parle même d’une future « économie de l’ammoniac », où ce dernier
représenterait le « chaînon manquant » capable de faire de la décarbonation une
réalité.
Alors que des entreprises et des chercheurs du monde entier
s’appliquent à exploiter le potentiel de l’ammoniac, voici un tour d'horizon
des principaux projets et autres défis à relever :
Hydrogène de poche
L'hydrogène a longtemps été considéré comme un potentiel
substitut zéro carbone aux combustibles fossiles, mais son utilisation a vite
été limitée par des problématiques de stockage et de transport. Parce qu’il est
riche en hydrogène – certains vont jusqu’à dire qu’il est composé « d'hydrogène
et d'air » – l’ammoniac s’impose peu à peu comme une solution de choix face aux
défis techniques posés par l'H2 :
- Plus
facile à liquéfier : l'hydrogène existe à l’état naturel sous forme de gaz
et doit atteindre des températures cryogéniques inférieures à -253 °C pour être
transporté sous forme liquide. Ce processus à lui seul nécessiterait une
énergie équivalente à un tiers de la production totale d'hydrogène liquéfié.
L'ammoniac, lui, se liquéfie à -10 °C et ne requiert pour ce faire qu’une
faible pression.
- Les
infrastructures existent déjà : pour la raison citée plus haut, le
transport et le stockage de l'hydrogène nécessitent des installations très
technophages ainsi qu’une infrastructure à l’échelle mondiale qui, pour
l’heure, est inexistante. Pour sa part, l'ammoniac est déjà expédié dans le monde entier, en grande quantité, et de
nombreux ports sont déjà en mesure de le stocker et de le traiter en toute
sécurité.
- Oublier
les énergies fossiles : convertir de l'ammoniac en hydrogène demande
normalement de grandes quantités d'énergie thermique issue d’énergies fossiles,
ce qui est paradoxal étant donné l'objectif de l'utilisation de ce composé.
Mais en novembre 2020, des chercheurs de l'Université Northwestern ont annoncé
qu'ils avaient développé un processus efficace pour réaliser cette conversion
uniquement grâce à de l'électricité renouvelable.
- Voitures
: cette avancée pourrait permettre aux propriétaires de voitures à
hydrogène de se rendre à une station-service et d'obtenir de l'hydrogène sous
pression sur place, mettant fin à ce problème logistique qui a longtemps donné
aux voitures à batterie l’avantage sur le marché des véhicules zéro carbone.
Carburant alternatif
- Adoption
facile : certains pensent que l'utilisation de l'ammoniac comme carburant
en tant que tel – sans le convertir en hydrogène – pourrait s’avérer encore
plus efficace. Moyennant quelques modifications mineures, l’ammoniac peut être
brûlé dans les moteurs à combustion interne conventionnels et les turbines à
gaz, ce qui en facilite la démocratisation dans le secteur industriel.
- Une
longueur d’avance pour le transport maritime : responsable d’environ 2% des émissions mondiales de carbone –
soit quasiment l’équivalent de l’Allemagne – le secteur du transport maritime
est particulièrement dans le collimateur des exigences de décarbonation. Mais
l’idée de faire fonctionner des navires à l'hydrogène n'est pas réaliste : le
stockage du carburant prendrait trop de place, contrairement à l’ammoniac. «
L'ammoniac est le seul carburant zéro carbone qui nous permettra de traverser
les océans », comme le résume à la BBC le professeur Bill David, auteur d'une
étude sur le sujet pour la British Royal Society. MAN Energy Solutions, un
fabricant de moteurs marins, a annoncé que son premier moteur à ammoniac
pourrait être mis en service dès 2022.
- Autres
utilisations : si l'ammoniac est couronné de succès dans le transport
maritime, de nouvelles opportunités pourraient également s'ouvrir à lui comme
carburant vert pour les trains, le fret lourd et peut-être même l'aviation. Le
Japon s’est engagé à utiliser l'ammoniac pour le transport maritime dès la fin
de la décennie et a même commencé à en brûler au sein de ses centrales thermiques.
- Prix
compétitif : Selon la société de moteurs marins MAN Energy Solutions, le
composé a de grandes chances, dans un futur plus ou moins proche, de faire de
l’ombre en termes de prix à d'autres carburants alternatifs, tels que le gaz de
pétrole liquéfié, le gaz naturel liquéfié ou le méthane.
- Vert,
vous avez dit vert ? L’ammoniac n’émet pas de carbone, et ce, pour une
raison simple : il n’en contient pas. Mais cela ne signifie pas qu'il est sans
risque. Ses détracteurs rappellent notamment que la combustion d'ammoniac peut
libérer de l'azote et des nitrates, dont le cycle n'est pas aussi bien étudié
que celui du carbone. En outre, l'ammoniac est traditionnellement produit en
masse à l'aide de méthane. À grande échelle, c’est donc davantage le
remplacement de ce dernier par une énergie renouvelable qui déterminera
l’impact environnemental de la combustion de l’ammoniac. Plusieurs entreprises,
comme CF Industries aux États-Unis, ont annoncé leur ambition d’augmenter leur
production d'ammoniac vert.
Piles à combustible
- Nitrogène
→ ammoniac : le chimiste Douglas MacFarlane et son équipe de
l'Université Monash en Australie ont développé un moyen
d'utiliser l'ammoniac pour stocker l'énergie solaire et éolienne dans
des piles à combustible. A partir d’électricité, d'eau et de nitrogène, le
dispositif produit de l'ammoniac qui peut ensuite être brûlé ou converti en
hydrogène.
- Transport
des énergies renouvelables : cette découverte pourrait faire de l'ammoniac
le seul moyen viable d'exporter de grandes quantités d'énergie renouvelable –
une avancée importante pour des pays comme l'Australie, riches en énergies
vertes, mais incapables de l'exporter en raison de leur isolement géographique.
Comme l’affirme le professeur MacFarlane, « l'ammoniac est le seul moyen de
stocker pendant des jours, des mois, voire même des années, du carburant zéro
carbone issu d'énergies renouvelables ».
L’Œil d'Expert ENGIE
Camel Makhloufi et Nouaamane Kezibri, ingénieurs de
recherche au Lab Hydrogène ENGIE Lab CRIGEN : « De nombreux verrous technologiques
demeurent un obstacle à l’intégration de l’ammoniac vert, notamment liés à la
gestion de l’intermittence de la source renouvelable, l’amélioration de
l’efficacité et de la fiabilité du procédé. Par ailleurs, les coûts élevés
associés à cette solution la rendent, pour le moment, toujours non compétitive
vis-à-vis des voies conventionnelles.
Enfin, le cadre réglementaire joue un rôle important dans le
déploiement d’une telle solution. Si en Amérique du Nord l’utilisation du
fertilisant ammoniac est une pratique courante (plus de 27% du marché), c’est
loin d’être le cas pour le reste du monde – encore moins pour l’Europe. En
effet, l’épandage non contrôlé de l’ammoniac peut avoir des conséquences
néfastes sur l’environnement et sur la qualité de l’air. L’Europe s’est engagée
à réduire de 21% les émissions d’ammoniac à l’horizon 2030. De ce fait,
l’ammoniac vert destiné à l’application agricole prendra certainement d’autres
formes plus caractéristiques du marché européen, telles que les nitrates ou
l’urée ».