Dans divers
pays, des zones circulaires se distinguent de leur environnement par une forte
diminution, voire une disparition de la densité végétale. Ce sont des « cercles de fées » auxquels des
légendes ont parfois été accolées, faute d’explication bien convaincante encore
aujourd’hui.
Étonnamment, beaucoup de ces formations s’accompagnent d’un
dégagement gazeux : il s’agit d’hydrogène. Ainsi, le gaz que l’on fabrique
par divers procédés pour contribuer à la transition énergétique est
naturellement présent dans le sous-sol…
Un « cercle de fées » au Brésil, d’où s’échappe de l’hydrogène naturel.
Longtemps anecdotique, cet hydrogène sort
peu à peu de la confidentialité à mesure que de nouveaux projets se développent pour comprendre comment
il se forme. Et si cette ressource naturelle était bien plus répandue et surtout exploitable ? Après tout,
nous ne sommes qu’au début des investigations, un peu comme nous l’étions pour
le pétrole ou le gaz il y a 160 ans…
Passé la surprise de voir de l’hydrogène
jaillir du sous-sol, les géologues s’y sont intéressés plus systématiquement,
notamment le long des failles sous-marines où se
forme la croûte océanique. Les premières évaluations des quantités émises sont stupéfiantes : quelques
dizaines de millions de tonnes d’hydrogène par an ! À terre, même constat : les mesures menées, souvent au voisinage des
cercles de fées, confirment que l’hydrogène est émis en quantités non
négligeables.
Pour en savoir plus et quantifier ces émissions, ENGIE a développé une technologie de détection en continu : les capteurs PARHyS. Un déploiement récent sur plusieurs mois d’une centaine de ces capteurs dans le bassin de São Francisco, au Brésil (voir l’encadré ci-dessous), a révélé des flux de l’ordre du millier de mètres cubes par jour, soit une dizaine de tonnes par an.
Hydrogene en continu Les capteurs PARHyS (pour Permanent analyses of renewable hydrogen with sensors) sont de petits dispositifs résistants, abordables et faciles à déployer qui collectent dans la durée des données sur le flux d’hydrogène naturel en temps réel et les communiquent à distance. On espère ainsi mieux comprendre la production d’hydrogène souterrain et ses potentialités. |
Si diverses hypothèses quant aux mécanismes précis sont encore débattues, certains indices suggèrent que l’eau joue un rôle majeur dans le cycle de l’hydrogène naturel. C’est le cas au niveau des failles océaniques : l’eau participe à l’oxydation des minéraux ferromagnésiens des roches nouvellement créées, encore à haute température, et à la production d’hydrogène qui en résulte. Cette réaction chimique, rapide, se passe à relativement faible profondeur.
Qu’en est-il à terre ? Les principaux indices d’hydrogène se
situent souvent dans les bassins sédimentaires au cœur de cratons (des parties
très anciennes d’une croûte continentale, d’au moins 500 millions
d’années). Certains de ces bassins ont connu une histoire géologique parfois
mouvementée qui se traduit par des ruptures dans la croûte continentale sous-jacente. Le
long de ces fractures profondes, des roches du manteau supérieur renfermant des
minéraux ferromagnésiens (des roches dites « mafiques » et
« ultramafiques ») ont parfois été injectées dans les sédiments. Une
origine possible de l’hydrogène naturel en bassin sédimentaire serait
l’oxydation de ces minéraux par l’eau des aquifères voisins. C’est l’hypothèse
privilégiée pour expliquer la présence d’hydrogène à Bourakébougou,
au Mali.
En d’autres sites de ces mêmes massifs, l’hydrogène naîtrait de la radiolyse de l’eau, là aussi infiltrée via des failles, par le rayonnement de minéraux radioactifs contenus naturellement dans la croûte terrestre. Ailleurs encore, par exemple à Oman ou en Nouvelle-Calédonie, de l’hydrogène est libéré dans des zones où la tectonique des plaques a permis la surrection en surface de roches ferromagnésiennes (des péridotites) de la croûte océanique. Des failles donneraient à l’eau des aquifères un accès à ces minéraux avec lesquels elle réagirait pour produire de l’hydrogène. Dernier exemple, eau et hydrogène sont parfois associés dans des fluides géothermaux, où l’hydrogène est présent dans la fraction vapeur, comme en Islande. Tous ces contextes le montrent, l’eau semble bien au cœur du cycle de l’hydrogène.
Si les outils disponibles mesurent
l’hydrogène qui s’échappe à la surface de la terre, la quantité produite dans les sous-sols est beaucoup plus difficile
à estimer, mais elle est certainement beaucoup plus importante, car seule une
fraction atteint la surface. En effet, en profondeur, la molécule de
dihydrogène (H2) est une source d’énergie mobilisée par des
réactions chimiques, mais aussi par des microorganismes. Ainsi l’essentiel de
l’hydrogène n’atteint probablement jamais la surface de la Terre. Afin de mieux
comprendre les conditions de sa préservation, Engie a créé avec l’université de
Pau et l’Ifpen une chaire industrielle dédiée à l’étude du comportement de
l’hydrogène dans le sous-sol.
Le gaz naturel obéit certes à un
cycle très différent, mais une analogie est possible. On estime
que les remontées géologiques naturelles de méthane sont d’environ 52 mégatonnes par an, soit l’ordre de grandeur des émissions d’hydrogène naturel en surface. Or les quantités de
méthane contenues dans le sous-sol sont bien plus importantes (au minimum
200 gigatonnes) : les émissions en surface ne sont que la partie
visible de l’iceberg.
Bien plus petite que celle de méthane (CH4), la molécule
de H2 diffuse sans doute plus facilement jusqu’à la surface.
De même, sa consommation dans le sous-sol est certainement plus importante du
fait de sa forte réactivité. Cependant, la possibilité que de grandes quantités
d’hydrogène soient piégées ou en transit dans le sous-sol est encore ouverte.
De fait, certains forages d’eau ou d’hydrocarbures ont fortuitement mis au jour
des accumulations de gaz riches en hydrogène comme au Kansas, au Mali ou au
Brésil. Cet hydrogène se serait retrouvé piégé dans des roches-réservoirs à la
manière du gaz naturel.
Mais combien de temps cet hydrogène peut-il rester ainsi confiné ? À l’instar des hydrocarbures, a-t-il été formé au cours des temps géologiques, auquel cas il serait maintenu dans des réservoirs pendant des millions d’années ? Ou au contraire, y séjourne-t-il peu de temps, tout en y étant plus rapidement régénéré ?
L’exploration pétrolière et gazière a grandement contribué à la compréhension de la lithosphère. Les outils mobilisés et les données recueillies aident désormais à mieux cerner ce que beaucoup nomment un « système hydrogène ». Les technologies de forage et d’exploitation issues du monde gazier pourront vraisemblablement s’adapter à cette nouvelle ressource qu’est l’hydrogène naturel. Son prix de revient, qui dépendra de la profondeur de forage et du débit, est attendu comme compétitif, c’est-à-dire inférieur à un euro par kilogramme d’H2 produit. Dès lors, l’industrie gazière y trouvera une piste de reconversion massive tout en facilitant la transition écologique. Elle aura trouvé sa bonne fée !
Références
I. Moretti et
al., Long term monitoring of natural hydrogen superficial emissions in a
Brazilian cratonic environment. Sporadic large pulses versus daily periodic
emissions, International Journal of Hydrogen Energy, vol. 46(5), pp.
3615-3628, 2021.
S. Worman et
al., Abiotic hydrogen (H2) sources and sinks near the Mid-Ocean Ridge (MOR)
with implications for the subseafloor biosphere, PNAS, vol. 117(24), pp.
13283-13293, 2020.
V.
Zgonnik, The occurrence and geoscience of natural hydrogen : A comprehensive
review, Earth-Science Reviews, vol. 203, art. 103140, 2020.
Cette article a été écrit par :
Olivier Lhote - Conseiller spécial Hydrogène - ENGIE Research
Jan Mertens - Directeur scientifique - ENGIE Research
Maria Rosanne - Manager de projets R&D innovants - ENGIE Research
Louis Gorintin - Directeur de laboratoire Nanotech, Capteurs et connectivité - ENGIE ResearchTiphaine Fargetton - Ingénieur géologue sénior, chef de projet - STORENGY
Laurent Jeannin - Ingénieur sénior - STORENGY
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