«Réfléchissez au mouvement des vagues, au flux et reflux, au
va-et-vient des marées. Qu’est-ce que l’océan ? Une énorme force perdue. Comme
la terre est bête ! Ne pas employer l’océan ! » Ce que déplorait Victor Hugo
dans Quatrevingt-treize (1874) n’est plus de mise aujourd’hui tant la mer est
devenue une alliée incontournable pour nous aider à relever le défi de la
transition énergétique.
De fait, la Commission européenne voit dans les océans une
source de 100 mégawatts (MW) pour 2025 et 1 gigawatt (GW) en 2030 : c’est plus
qu’un réacteur nucléaire ! Comment récupérer cette énergie ? Tout dépend de la
cible : les marées, les vagues, la chaleur ou la salinité.
L’ÉNERGIE DES MARÉES
Sous l’effet des forces gravitationnelles exercées par la
Lune et le Soleil, ainsi que de celles dues à la rotation de la Terre, les mers
et océans sont sujets aux marées. Ce phénomène se traduit par des courants,
souvent forts, et des variations du niveau marin, ces deux processus étant propices
à la conversion en énergie électrique. Les courants de marées varient
périodiquement dans un sens, puis dans l’autre selon un rythme spécifique à
chaque lieu et connu. Conséquence, la disponibilité de l’énergie est prévisible
sur le long terme.
Des technologies de formes et tailles diverses, proches du
stade commercial, sont aujourd’hui déployées et offrent des puissances de 0,2 à
2,5 MW.
- Les turbines hydrauliques (ou hydroliennes) à axe horizontal, celles
à axe vertical, les turbines autoporteuses fonctionnant comme des cerfs-volants
immergés… Certaines sont installées en mer, d’autres, plus petites, dans des
rivières et des estuaires.
Le potentiel énergétique théorique a été estimé à environ
350 térawattheures par an (TWh/an) pour quatre pays européens (Royaume-Uni,
Irlande, Danemark et Norvège) et plus de 9 000 TWh/an pour l’Asie et l’Océanie. Pour rappel, la consommation électrique de l’Europe
des 28, en 2019, était de 3 239 TWh.
- Le cerf-volant est l’option choisie par la société suédoise
Minesto à laquelle était associée à ENGIE Laborelec.
Les objectifs principaux du projet étaient
de concevoir l’engin immergé, de minimiser son impact environnemental et de
réduire les coûts afin d’augmenter la compétitivité.
- Les barrages : Outre les courants, les marées se traduisent aussi par la
montée et la descente du niveau marin. On peut alors utiliser un barrage, une
digue ou toute autre forme de barrière pour extraire la puissance de la
différence de hauteur entre la marée haute et la marée basse. L’énergie est
convertie par des turbines situées dans le barrage. Plusieurs centrales sont
déjà en activité de par le monde, notamment en France (240 MW), au Canada (20
MW), en Chine (5 MW) et en Corée du Sud (254 MW). Le potentiel global est estimé
à 80 GW, mais les investissements nécessaires sont importants et les impacts
environnementaux sont à étudier avec soin.
VAGUES ET CHALEUR
- Energies houlomotrices . Lorsque le vent souffle sur l’océan, il transfère une partie
de son énergie aux vagues qu’il crée. Les technologies houlomotrices sont
dédiées à la captation de cette énergie, variable selon les saisons et
disponible sur de courtes périodes de temps. On distingue neuf familles de
dispositifs qui convertissent l’énergie mécanique en électricité.
Par exemple, à
Porto de Pecém, au nord-est du Brésil, Engie Laborelec a participé à
l’installation de deux flotteurs, reliés à la côte par des bras métalliques, qui
en montant et en descendant actionnent des pompes hydrauliques. Au large de
Bilbao, dans le cadre du projet Opera, financé par l’Union européenne, et
soutenu par ENGIE, un piston vertical oscillant au gré de la houle a été testé
récemment.
Aujourd’hui, plus de 100 projets pilotes et démonstrateurs
sont en cours, avec des puissances comprises entre 0,125 et 1 MW. Le potentiel
théorique a été estimé à 2 628 TWh/ an pour plusieurs pays du nord et du sud de
l’Europe au littoral étendu et à 12 000 TWh/an pour l’Asie et l’Océanie.
- Energie Thermique. Avec ou sans vagues, la mer a toujours une énergie thermique
exploitable. Selon quel principe ? D’abord, la chaleur de l’eau, en surface,
est utilisée pour produire une vapeur qui agit comme un fluide de travail.
Ensuite, de l’eau froide, captée plus en profondeur, condense la vapeur en aval
d’une turbine, celle-ci étant alors mise en mouvement par la différence de
pression.
Cette technologie, dite « OTEC », n’a de sens qu’en zones
subtropicales, là où les différences de températures entre la surface et les
profondeurs sont supérieures à 20 °C. Quelques défis restent à relever avant de
penser déployer ces systèmes : la taille du réseau de conduites hydrauliques (une
centrale de 100 MW requiert des tuyaux d’eau froide de 10 mètres de diamètre et
1 000 de long !) et l’amélioration de l’efficacité des échangeurs thermiques. L’énergie
des mers peut aussi servir à la climatisation (on parle de SWAC) et fournir de
l’air conditionné à des immeubles en exploitant la différence de température
entre les eaux profondes et celles de surface. Les avantages sont économiques,
mais aussi environnementaux, car le remplacement des systèmes conventionnels d’air
conditionné s’accompagne d’une réduction de la consommation électrique (jusqu’à
- 80 %).
Le projet Thassalia développé à Marseille par ENGIE en est
une bonne illustration (voir la photo ci-dessus). Là, un réseau de distribution
de chaud et de froid à partir de l’eau de mer offre aux bâtiments raccordés un
taux d’énergie renouvelable supérieur à 75 % avec des coûts compétitifs et stables
dans la durée. L’eau puisée dans le port à 7 mètres de profondeur alimente
directement des thermofrigopompes (une sorte de pompe à chaleur) et des groupes
réfrigérants à haute efficacité. Ces machines desservent 600 000 mètres carrés
de bâtiments dans le quartier d’affaires Euro méditerranée.
À Marseille, le projet Thassalia alimente en chaud et en
froid600 000 mètres carrés de bâtiments grâce à de l’eau de mer. |
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EN OSMOSE AVEC LA MER
- Energie osmotique : Dernière source d’énergie marine, celle dite « osmotique »
résulte de la différence en concentration de sels entre deux fluides. Deux
types de technologies sont à l’étude. L’une, la PRO (Pressure retarded
osmosis), est fondée sur le passage d’une eau douce vers une eau salée (c’est
l’osmose) à travers une membrane, ce mouvement créant une pression convertie en
électricité par une turbine. L’autre, la RED (Reversed electrodialysis) utilise
le transport d’ions à travers des membranes pour générer un potentiel
électrique converti en électricité.
Si les méthodes sont encore loin d’être matures tant les
défis à relever sont importants, le potentiel de l’énergie osmotique est tout
de même estimé à 647 GW. Engie, via Tractebel Energia, avec le centre de
recherche Coppe de l’université fédérale de Rio de Janeiro, a participé à un
projet pilote de développement d’une membrane à échelle réduite.
La diversité des énergies marines esquissée précédemment est
un signe prometteur. Plus prévisibles que celle du vent ou du soleil et avec un
fort potentiel européen et mondial, elles auront vraisemblablement une place
importante dans le nouveau mix issu de la transition énergétique. Pour ce
faire, il leur faut atteindre leur maturité commerciale et être plus compétitives
tout en étudiant leurs impacts sur l’environnement afin d’en faire des énergies
définitivement durables. L’océan ne sera alors plus « une énorme force perdue
».
Cet article a été rédigé par :
Fiona Buckley - Senior Expert and Project Manager - ENGIE Lab Laborelec