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Comprendre l’énergie grâce aux lois de la physique
Podcasts 09/10/2023

Comprendre l’énergie grâce aux lois de la physique

Dialogue entre Erik Orsenna et Etienne Klein, physicien et  Directeur de recherche au CEA dans la dernière série de podcats sur "L'énergie du Futur" réalisée avec le magazine Challenges et Sciences et Avenir. 

Quand il s'agit de débattre de questions qui ont une composante scientifique importante, je pense qu'il faut commencer par partager des connaissances avant de débattre.

Vous ne pouvez pas créer d'énergie à partir de rien, vous pouvez pas en produire. Les expressions production d'énergie et consommation d'énergie n'ont pas de sens.

Ecouter le podcast


Erik Orsenna

Nouveau bonheur exceptionnel, celui de recevoir Etienne Klein. J'ai une immense admiration pour Monsieur Klein car il est, on le sait, Directeur de recherche au CEA, il est physicien et surtout il a cette incroyable générosité, cette énergie de la générosité qui nous permet de faire comprendre les questions les plus compliquées de la physique.

Alors la première question c'est au fond qu'est-ce que l'énergie ? Et quelle est la différence entre l'énergie et la puissance ?

Etienne Klein

Bonjour à toutes et à tous.

Alors l'énergie, c'est un très vieux mot, un mot grec utilisé par Aristote. C'est en fait ce qui permet de changer l'état d'un système. Et ce mot va finir par gagner une sorte de polysémie assez problématique. L'énergie, c'est à la fois l'énergie, ce qu'on appelle aujourd'hui l'énergie, mais c'est aussi la puissance, la force, l'élan, le dynamisme, la volonté. Bref, ce n'est pas très clair. 

Erik Orsenna

C'est tout ce qui change au fond. 

Etienne Klein

C'est ce qui permet le changement.

Erik Orsenna

La force qui permet le changement. 

Etienne Klein

Le changement de la matière, de ses propriétés... Ça permet de transférer de l'énergie justement, entre un système et un autre système. Mais contrairement à ce qu'on pense, le mot énergie n'est apparu dans le champ de la science que très tardivement. Sa première occurrence date de 1717. C'est une lettre de Jean Bernoulli qui était un savant, un mathématicien, à Pierre Varignon, qui était un jésuite, et dans cette lettre, il définit l'énergie pour la première fois comme étant le produit de la force par le déplacement. C'est ce qu'on appelle aujourd'hui l'énergie mécanique. Et ce terme ne va pas vraiment coloniser la physique. Il faudra attendre le XIXᵉ siècle pour que cela se passe, avec la naissance de la  thermodynamique.

Un grand physicien allemand qui s'appelle Helmholtz a écrit en 1847 un livre intitulé « Über der Erhaltung  der Kraft » sur la conservation de la puissance ou de la force. Kraft en allemand c'est la puissance. Et en fait la distinction entre énergie et puissance à l'époque n'est pas très claire. 


Erik Orsenna

Donc au début, c'est une sorte de force un peu mystérieuse. 

Etienne Klein

C’est l'idée de “force” qui est associée à celle d’“énergie”, et Helmholtz utilise d'ailleurs cette signification. Dans ce livre, il définit ce qu'on appelle aujourd'hui le premier principe de la thermodynamique, qui est le principe de la conservation énergique, mais lui confond énergie et force.

Et c'est seulement en 1884 qu'un physicien bien connu, Max Planck, le futur fondateur de la mécanique quantique, qui a fait sa thèse de doctorat sur le concept d'entropie en physique, va publier un livre qui reprend le même titre que Helmholtz à un mot près « Über der Erhaltung der Energie » sur la conservation de l'énergie. Et là, il va proposer une définition de l'énergie très abstraite. L'énergie est un concept qui se définit par le fait qu'au cours du temps, l'énergie associée à un corps se conserve.

Donc, c'est la loi de conservation de l'énergie qui définit l'énergie. Elle se définit par le fait qu'elle se conserve. Autrement dit, vous ne pouvez pas créer d'énergie à partir de rien, vous pouvez pas en produire. L'expression production d'énergie n'a aucun sens. Quand vous dites que vous produisez de l'énergie, vous sous-entendez que vous pouvez la créer à partir de rien, à partir du néant. La seule chose que vous puissiez faire, c'est prendre de l'énergie comme elle est et lui donner une autre forme que ce qu'elle a. Vous avez par exemple de l'énergie mécanique, vous allez la transformer en énergie électrique.

Et l'autre chose que vous pouvez faire, c'est prendre de l'énergie d'un système et la transférer à un autre système. Ce sont les seules choses qui sont possibles. Et si vous prenez cela au sérieux, ça veut dire que l'expression production d'énergie n'a pas de sens.

L'expression consommation d'énergie n'a pas non plus de sens. Vous ne pouvez pas consommer d’énergie. Quand, par exemple, vous mettez un litre d'essence dans votre réservoir de voiture, vous roulez.  Au bout d'un certain temps, votre essence a disparu, votre réservoir est vide. Vous dites « j’ai consommé de l'énergie ». Mais non, vous avez consommé de l'essence, mais l'énergie qui était dans l'essence, elle a servi à déplacer votre voiture, énergie mécanique. Les pneus en roulant ont chauffé la route, chaleur. Et puis vous avez peut-être allumé vos phares, etc, vous avez donc produit de l'énergie lumineuse. Et puis vous avez chauffé l'air. Mais à la fin, il y a exactement autant d'énergie qu'il y en avait dans le litre de pétrole que vous avez consommé. Ce que vous avez consommé, ce n'est pas du tout de l'énergie. Vous n'avez pas consommé d'énergie, vous avez créé de l'entropie, c'est à dire que vous avez pris de l'énergie sous une forme très ordonnée, c'est le cas de l'énergie qui est dans un litre de pétrole et vous l'avez dispersée en chaleur.  Vous avez créé du désordre, sans consommer d'énergie.

Erik Orsenna

Alors, est-ce qu'une analogie peut être faite, vraie ou fausse, avec Lavoisier sur la chimie ? Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. C'est un peu la même chose en terme de chimie.

Etienne Klein

Oui, sauf que Lavoisier pensait plutôt à la masse. La masse ne se conserve pas. C'est l'énergie qui se  conserve. Et ça, c'est vraiment quelque chose de fondamental. Et l'énergie ne doit pas être confondue avec la puissance. Souvent, dans notre façon de penser, on les confond. Par exemple, pour nous, le TNT, c'est le symbole de l'énergie. C'est un explosif. Et bien en fait, dans un kilo de TNT, il y a dix fois moins d'énergie que dans un litre de pétrole.

En fait, le TNT devrait être le symbole de la puissance, c'est à dire de la vitesse avec laquelle se libère l'énergie. Ça explose alors que le pétrole, lui, brûle lentement. Et donc il a beaucoup d'énergie, mais il délivre peu de puissance.

Erik Orsenna

Alors la puissance, c'est la vitesse à laquelle se disperse l'énergie. 

Etienne Klein

C’est le débit de l'énergie. La puissance, on la mesure en Watt et l'énergie, on la mesure en Joule. L'unité pour l'énergie qu'on utilise et qu'on voit d'ailleurs sur nos factures EDF, c'est le kilowattheure. KW, 1000 watts, c'est de la puissance, multipliée par des heures, par du temps. C'est une puissance multipliée par du temps, c'est une énergie.

En fait, le corps humain a besoin chaque jour pour nourrir son métabolisme, pour fonctionner, de 2,5 kilowattheures. Et on acquiert cette énergie par les repas. Un bon repas, c'est un kilowattheure. Le déjeuner, le dîner, le petit-déjeuner, ça fait 2,5 kilowattheures.

Un kilowattheure, pour donner un ordre de grandeur et une analogie, c'est l'énergie cinétique d'un camion de dix tonnes qui roule à 100 kilomètres / heure. Donc quand vous voyez un camion de dix tonnes rouler à 100 km/h, dites-vous, c'est l'équivalent d'un repas en énergie. 

Erik Orsenna

D'où l'impression que ça peut peser sur l'estomac. 

Etienne Klein

Le poids lourd, comme on dit... Et l'énergie qui est nécessaire pour, par exemple, escalader le Mont-Blanc, c'est aussi un kilowattheure.  Il faut un bon repas pour escalader le Mont-Blanc. Ou plutôt, quand on escalade le Mont-Blanc, on consomme l'énergie d'un bon repas.

Notre corps a besoin d'une puissance de 100 watts. C’est à dire, quand vous prenez 100 watts, vous multipliez par le nombre de secondes qu’il y a dans une journée, ça vous donne 2,5 kilowattheures. Donc c'est la puissance que consomme en fait notre métabolisme.

Il y a 70 watts pour le corps, 30 watts pour le cerveau qui est privilégié. C'est pour ça que, par exemple, quand vous avez froid aux mains en montagne, la première chose à faire, c'est de mettre un bonnet plutôt que des gants. Parce que quand il fait froid, comme votre cerveau est privilégié, toute la chaleur qui est dans vos mains va remonter au cerveau qui reçoit ainsi l'énergie qui lui manque. Et donc, le fait de mettre un bonnet ça vous permet d'avoir moins froid aux mains. Ensuite, vous pouvez mettre des gants, ce n'est pas inutile.

Une bonne façon de voir et de mesurer comment nous vivons, c'est de calculer chaque soir l'énergie totale qu'on a consommée, non seulement pour se nourrir, mais aussi pour se déplacer, s'éclairer, se chauffer.

Erik Orsenna

Alors ça, c'est un calcul qui peut dépendre des jours, j'imagine ? 

Etienne Klein

Oui. Vous avez donc une énergie totale, vous l'écrivez en kilowattheures et vous divisez par 2,5, ça vous donne le nombre d'esclaves énergétiques, pour reprendre une expression qu'utilisent certains, qui ont travaillé pour vous. Ce sont des machines. Par exemple, votre micro-ondes, votre voiture ont travaillé pour vous. Et quand on fait le calcul, on s'aperçoit pour un Français, en moyenne, c'est à peu près 200 esclaves énergétiques. C'est comme s'il y avait 200 personnes fictives qui avaient travaillé pour nous en donnant à notre usage l'énergie de leur corps.

Erik Orsenna

Alors, comment appréciez-vous les discussions actuelles, les projets, les retards sur ce qu'on appelle la transition énergétique ? Comment est-ce que vous voyez ça ?

Etienne Klein

Eh bien, moi, je dis qu'il y a une ambiguïté sémantique. Parce que dans la langue française, le sujet du verbe changer, c'est ce qui ne change pas quand on en dit qu’il change. Par exemple, les Grecs avaient vu un paradoxe entre la notion d'identité et la notion de changement. Ils disaient « si une chose a changé, c'est qu'elle n’est plus identique à elle-même. Et si elle reste identique à elle-même, c'est qu'elle n'a pas changé. »

Et on a résolu ce paradoxe, qui a clivé la philosophie grecque, par un stratagème linguistique. Quand vous dites que X a changé , X c’est un monsieur, un objet, à la fin du changement, vous avez toujours à faire à X. X en tant que sujet n'a pas changé. Ce qui a changé, c'est une propriété de X.

Si vous dites que Monsieur Bidule a changé, vous voulez dire qu'en fait c'est sa coupe de cheveux, son tour de taille, peut-être, qui ont changé, mais c'est toujours Monsieur Bidule. Autrement dit, quand on dit que X a changé, on veut dire qu'à la fin du changement, on a toujours affaire à X. Autrement dit, un changement n'est pas un remplacement. X n'est pas devenu Y.

Quand on parle de transition énergétique, on sous-entend qu'un changement va se produire. Et tant qu'on n'a pas dit ce qui doit rester invariant dans le fait qu'il y ait une transition, on n'a pas précisé les choses. C'est une transition qui oblige à modifier quoi et qui va conduire à conserver quoi ?

Est-ce qu'on veut conserver notre mode de vie, par exemple ? Est-ce qu'on veut conserver la part d'énergies fossiles que nous utilisons, par exemple pour produire notre électricité ? Tant qu'on n'a pas précisé ces choses, j'entends ça comme un slogan imprécis qui dit simplement que nous devons modifier des choses, sans préciser quelles choses nous voulons modifier.

Erik Orsenna

Alors on voit bien ça, par exemple, avec la voiture dite électrique, avec ces questions très concrètes, qui sont, d'après ce qu'on nous dit, devant nous.

Etienne Klein

Oui la voiture électrique, je n'ai rien contre mais ça pose quand même des problèmes. La question est de savoir comment on produit l'électricité. Et puis il y a dans les batteries des métaux rares. Est-ce qu'on a la capacité de fabriquer en très grand nombre des batteries pendant très longtemps ? Est-ce qu'on est capable de les recycler ? Pour moi, ce sont des questions fondamentales.

Dire simplement qu’on va remplacer les voitures thermiques par des voitures électriques, c'est un peu rapide. Il y a tous les effets secondaires de cet effet d'annonce qu'il faudra examiner.

Erik Orsenna

Surtout si on n'a pas changé de mode de vie comme vous l'avez imaginé.

Etienne Klein

Vous avez un litre de pétrole à votre disposition. Vous avez deux solutions : soit vous le mettez dans une centrale thermique qui va faire du courant électrique que vous allez mettre dans votre voiture électrique et vous allez charger la batterie avec ce courant, soit, vous prenez ce litre d'essence et vous le mettez directement dans un moteur thermique de voiture. Quel est le meilleur rendement ? 

Ça, c’est un petit calcul intéressant à faire quand on veut comprendre l'intérêt de passer à l'électrique plutôt que conserver le thermique. 

Et puis il y a des lois physiques, et moi je pense comme Richard Feynman, le grand Prix Nobel de physique.  Richard Feynman disait « La nature ne peut pas être dupée » c’est-à-dire vous pouvez faire tous les discours que vous voulez,  si vos discours violent les lois physiques, les solutions que vous proposez ne seront pas applicables, vous ne pourrez pas les réaliser. Or, il y a des contraintes physiques bien connues. Outre le fait que l'énergie se conserve, si je vous demande quelle quantité de matière vous faut-il pour produire un kilowattheure ? Autrement dit, quelle quantité de matière vous devez avoir à votre disposition pour avoir l'énergie équivalente à celle que vous donne un bon repas ? La réponse de la physique est : ça dépend. Ça dépend de la force fondamentale que vous allez utiliser pour produire de l'énergie.

Soit vous prenez la gravitation, une force qui n’est pas très intense. Donc par exemple, vous allez faire tomber de l'eau puis recueillir l'énergie acquise par l'eau lors de sa chute, son énergie cinétique. Il vous faut 10 000 mètres cubes de flotte qui tombent d'une hauteur de 40 mètres. Donc il faut 10 tonnes d'eau pour avoir un kilowattheure. Moi j'aime bien voir ça quand je vois un barrage. Je me dis, tiens, c'est un bon repas qui vient de tomber là.

Maintenant, si vous prenez la force électromagnétique, la quantité de matière qu'il vous faut pour avoir un kilowattheure, c'est à peu près un kilo. D'ailleurs, quand vous mangez à chaque repas, vous absorbez à peu près un kilo de matière.

Et puis, si, au contraire, vous utilisez des forces nucléaires, l'interaction nucléaire forte, par exemple, comme c'est le cas dans la fission avec l'uranium, c'est quelques milligrammes. Si vous utilisez la fusion nucléaire avec le deutérium et le tritium, c'est quelques microgrammes.

Ça, c'est des données de base. Il y a des énergies qui sont concentrées, comme on dit, et puis d'autres qui le sont moins et on ne pourra pas changer ces paramètres. Donc quand on parle de transition énergétique, il faut réfléchir évidemment aux usages. On doit aller vers plus de sobriété, mais il faut aussi décider des sources primaires d'énergie qui vont avoir notre choix privilégié.

Erik Orsenna

Alors, vous êtes directeur de recherche au CEA, le Commissariat à l'Energie Atomique. Que cherche le CEA ? Quelles sont ses espérances ? Et qu'est-ce qui bloque encore ?

Etienne Klein

Disons que le CEA est engagé sur pas mal de projets, des projets à très long terme. La fusion nucléaire, c'est un projet à long terme.

Erik Orsenna

Est-ce que vous pouvez expliquer la fusion nucléaire ?

Etienne Klein

On a l'habitude de dire que la fusion nucléaire, c'est l'énergie du soleil. C'est évidemment faux. Dans le soleil, il y a de l'hydrogène au départ, des protons, des protons tous seuls. Tous les protons ont une charge électrique non nulle, ils sont positifs électriquement. Donc, si vous les rapprochez, ils ne vont pas pouvoir fusionner parce que la répulsion électrique va les empêcher de le faire. Ils vont s'écarter l'un de l'autre par l'effet de la répulsion de la force électrique. Mais la nature a trouvé un stratagème intéressant, c'est que de temps en temps, un des deux protons qui pourraient fusionner, se transforme en neutron par radioactivité.  C'est ce qu'on appelle la radioactivité bêta.

Et en fait, si un des deux protons devient un neutron, le neutron étant neutre, il n'y a plus la répulsion électrique. Donc il peut fusionner et faire ce qu'on appelle un noyau de deutérium constitué d'un proton et d'un neutron. Ce processus de transformation d'un proton en neutron est très rare. C'est pour ça que le soleil met des milliards d'années à brûler son hydrogène.

Et donc la puissance qu'il va délivrer, y compris dans les endroits où il est  le plus chaud, est très faible, 800 watts par mètre cube. Le soleil, c'est un réacteur nucléaire pourri. 800 watts par mètre cube, c'est moins que votre corps. Votre corps, c'est 100 watts, vous faites moins d'un mètre cube, beaucoup moins qu'un mètre cube. Donc, par unité de volume, votre corps rayonne plus d'énergie que le soleil.

Donc ce qu'on veut faire sur terre, ce n'est pas du tout copier le soleil qui est un très mauvais réacteur nucléaire. Il ne doit l'énergie qu’il nous envoie qu’à sa taille qui est énorme. Il y a beaucoup de mètres cubes donc ça fait une puissance rayonnée qui est très grande, mais par unité de volume c'est très faible.

Et donc ce qu'on essaie de faire sur Terre, c'est autre chose. On ne veut pas utiliser la radioactivité beta par laquelle un proton se transforme en neutron. On va utiliser une autre interaction nucléaire qui s'appelle l'interaction nucléaire forte. Comme son nom l'indique, elle est forte. Là on va prendre des noyaux, des isotopes de l'hydrogène, donc du deutérium, des noyaux avec un proton, un neutron et du tritium, un proton, deux neutrons. Et on va mettre ça dans un gaz, on va créer un gaz qu'on va chauffer à des  températures énormes, 100 millions de degrés.

Et là, l'énergie qui sera donnée à ces noyaux sera suffisante pour que la répulsion électrique qui les empêche de fusionner soit traversée. Ils vont pouvoir fusionner pour faire un noyau dans lequel il y a deux protons (1+1) et trois neutrons, de l'hélium cinq qui est radioactif, qui va émettre un neutron de quatorze MeV. MeV, c’est une unité d'énergie. Et c'est cette énergie-là qu'on va récupérer pour chauffer de l'eau et faire de l'électricité.

Et tout le grand défi, c'est de contrôler ce type de réaction. Et on a un grand projet à Cadarache qui s'appelle ITER, un projet mondial qui va démarrer bientôt et dont on espère qu'il nous dira comment faire des réacteurs industriels producteurs d'électricité basés sur ce principe.

Erik Orsenna

Bientôt, ça veut dire quoi ?

Etienne Klein

Ce n'est pas une solution pour la transition énergétique dont on vient de parler. C'est une échéance beaucoup plus lointaine et c'est à notre génération, disons, qu'il incombe de vérifier que c'est possible. Ce n'est pas nous qui allons décider d'installer des réacteurs de fusion dans le monde.

On doit étudier la chose parce qu'on a une génération qui a brûlé plus de pétrole que toutes les générations précédentes. Et donc on a vidé le frigidaire en quelque sorte. Et quand un ami vous prête un appartement, si le frigidaire est plein quand vous arrivez et si vous le videz pendant votre séjour, la moindre des politesses, c'est d'aller faire des courses pour que quand il récupère son appartement, il y ait de quoi manger.

C'est la responsabilité de notre génération d'étudier des processus qui permettront aux générations futures d'avoir une « consommation » d'électricité proche de la nôtre.

Erik Orsenna

Vous êtes Président de la République, quel programme vous lancez pour ce qu'on appelle, faussement, la transition énergétique ?

Etienne Klein

Première chose, j'impose à la télévision, à tout moment de la journée, des cours sur le concept de l'énergie. Le jugement de nos concitoyens sur l'énergie dépend du halo symbolique associé aux différentes énergies. C'est une expression d’un philosophe des techniques qui s'appelait Gilbert Simondon, l'idée que ce sont les récits dans lesquels on insère les technologies, ou les énergies en l’occurrence, qui déterminent le jugement qu'on porte sur elles.

Il y a un halo symbolique du nucléaire, il y a un halo symbolique de l'éolien, de l'hydraulique, du renouvelable, etc. Et une fois que vous êtes convaincu que c'est la bonne énergie, vous n'avez plus besoin d'être compétent. Autrement dit, quand on discute d'énergie, il y a une sorte de décorrélation entre la militance et la compétence. Dès que vous êtes militant, vous êtes pour et il n’y a plus besoin de connaître la chose pour laquelle vous êtes pour. Par exemple, mes amis qui sont anti-nucléaires, je leur demande :  Les gars, pourquoi est-ce qu'on met de l'uranium dans les centrales nucléaires ? Qu'est-ce que l'uranium a de particulier ? Pourquoi on ne prend pas de l'aluminium ou du tungstène ? Ils ne savent pas.

Maintenant, je m'adresse à mes amis pro-nucléaires et je leur demande : Pourquoi est-ce qu'on met de l'uranium dans les centrales nucléaires ? Ils ne savent pas non plus. 

Autrement dit, c'est comme si le fait d'avoir un avis tranché dédouanait de l'obligation ou de l'envie de s'instruire à propos de ce sur quoi on a un avis tranché. 

Ca, ça ne va pas. Et si on veut pouvoir discuter du type de compagnonnage qu'en tant que société nous allons avoir dans la suite de l'histoire avec les énergies, nous devons pouvoir discuter en connaissance de cause. Ce que nous savons doit avoir un poids dans ce que nous choisissons. Comme je l’ai dit tout à l'heure la nature ne peut pas être dupée, et donc il faut pouvoir partir d'un socle de connaissances communes pour ensuite pouvoir débattre.

Il ne s’agit pas de défendre une conception scolaire de la citoyenneté. Un citoyen qui ignore tout de la physique n'est pas un moins bon citoyen qu'un autre, mais quand il s'agit de débattre de questions qui ont une composante scientifique importante, je pense qu'il faut commencer par partager des connaissances avant de débattre.

Erik Orsenna

Merci Etienne Klein. Dernière question, est-ce que vous avez un programme qui permet de changer une curiosité, en l'occurrence la mienne, en intelligence, en l'occurrence la vôtre ?

Etienne Klein

C'est une question qui contient une composante flatteuse, excessive, qui me fait perdre mes moyens parce que du coup, je suis pris d'un sursaut d'émotion qui me fait perdre mes moyens intellectuels.

Erik Orsenna

Est-ce que l'émotion est une énergie ? 

Etienne Klein

Bien sûr. La curiosité aussi. Ça a été montré par des psychologies, une connaissance qui n'est pas acquise dans un contexte où il y a de l'émotion est très mal assimilée. Un professeur qui montre de l'émotion quand il enseigne permet que ses connaissances soient bien mieux diffusées qu'un professeur qui semble indifférent à ce qu'il dit. Donc l'émotion fait partie de l'apprentissage des connaissances.

Erik Orsenna

Etienne Klein, merci. Quelque chose me dit que vous auriez mérité d'être un Rolling Stone et c'est vraiment pour moi le plus grand des compliments. Et c'est la première fois lors de ces débats que je me permets d'applaudir.

Etienne Klein

J'ai une objection : je suis trop jeune.


Ecouter le podcast


Etienne Klein est physicien, directeur de recherches au CEA et docteur en philosophie des sciences. Il dirige le Laboratoire de Recherche sur les Sciences de la Matière du CEA (LARSIM).

Il enseigne la philosophie de la physique à CentraleSupélec.

Auteur de nombreux ouvrages et lauréat de plusieurs prix, il est membre de l’Académie des Technologies. Il a récemment publié « Idées de génies » (Champs-Flammarion, 2021) et « Cours-circuits » (Gallimard, avril 2023).


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