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La solution miracle n’existe pas
Podcasts 23/05/2023

La solution miracle n’existe pas

Pour ce deuxième épisode de nos podcasts sur l'avenir de l'énergie, Erik Orsenna engage la discussion avec Olivier Sala, vice-président du pôle Recherche et Innovation chez ENGIE. Passionné d’énergie, cet ingénieur de formation accompagne ENGIE depuis vingt ans pour relever les enjeux du changement climatique et du zéro carbone. Son objectif : faire émerger les technologies et les solutions d’un développement durable

Notre rôle à la recherche et à l’innovation c’est d’ouvrir des nouvelles voies qui sont plutôt des voies technologiques pour contribuer à la transition énergétique.

Ecouter le podcast


Erik Orsenna

Bonjour Olivier Sala.  Alors qui est Olivier Sala pour ceux qui encore ne le connaissent pas ? Olivier, qui êtes-vous ?

Olivier Sala

Bonjour, je m’appelle Olivier Sala, je travaille chez ENGIE, qui est une grande entreprise française d’énergie et je m’occupe de la recherche et de l’innovation chez ENGIE. 

Erik Orsenna

Alors vous avez fait les bonnes études, j’imagine ? Qu’est-ce qui vous a conduit là ? 

Olivier Sala 

Ce qui m’a conduit là, c’est une passion pour l’énergie. Ca fait quelques années que je travaille chez ENGIE, presque 20 ans maintenant, parce que j’ai toujours considéré́ que l’énergie faisait partie des choses essentielles de la vie.

 Erik Orsenna

C’est la vie même. 

Olivier Sala 

Je ne sais pas si c’est la vie même, en tout cas, c’est la base de toute transformation et donc la base souvent du développement des activités humaines. 
C’est un des sujets d’ailleurs que nous allons discuter aujourd’hui, c’est le lien entre ce développement humain et le modèle énergétique mais les deux sont très intriquées. 

Erik Orsenna

A toutes les échelles, de la cellule jusqu’à la planète, l’énergie permet la transformation, donc la continuation de l’existence. 
Pourquoi faut-il une transition énergétique ? 

Olivier Sala 

Il faut une transition énergétique parce qu’on assiste en ce moment à une situation de réchauffement climatique qui n’est pas tenable. On le sait tous, et le dernier rapport du GIEC le souligne à nouveau de manière extrêmement forte, la vitesse de réchauffement climatique à laquelle nous assistons est sans précédent. 
Même si on arrêtait totalement d’émettre des gaz à effet de serre, puisque ce sont eux qui sont responsables du réchauffement des températures, on assisterait d’ores et déjà̀ en 2030 à une augmentation de 1,5 degrés en moyenne. Evidemment, ça inclut des phénomènes tout à fait extrêmes : de la température sur la Terre par rapport à l’ère préindustrielle, donc avant que l’homme ne se mette à émettre des quantités de gaz à effet de serre du fait de l’extraction de fossiles pour alimenter des sources énergétiques. 
Je rappelle que le +1,5 dégrés, c’est le premier objectif qu’on s’était donné dans le cadre du GIEC il y a quelques années. Donc on sait que c’est déjà̀ fait, c’est-à-dire qu’on a consommé tout notre crédit, toutes nos cartouches.  Et donc, il faut des mesures très fortes, parce que tout cela  a une grande inertie, c’est justement parce que ça prend du temps qu’il faut agir vite.  Ce n’est pas du tout contre intuitif, au contraire. 
Ce qui se joue, c’est l’après.  Le +1,5 degré́s, on l’aura dans tous les cas. La question qui se pose, c’est que si on ne fait rien, si on continue au rythme actuel, en 2100, qui est l’horizon qui est en général analysé par le GIEC, on estime que l’augmentation de température, ce sera +3,2 degrés. Et ça, c’est un niveau de coût, de drame, qui est tel que tous les moyens que l’on ne met pas en œuvre aujourd’hui, parce qu’on considère que ça représente trop d’efforts sont ridicules par rapport à l’impact potentiel. 


Erik Orsenna

Ce qui est intéressant, c’est qu’il y a un renversement qui est en train de se produire. C'est à l’intérieur  même d’un certain nombre d'entreprises qui produisaient de l’énergie, qui étaient une des causes majeures de la production de gaz  à effet de serre responsable du réchauffement, qu’on trouve des moyens pour agir. 
Alors, comment fait-on ? 

Olivier Sala 

Notre conviction chez ENGIE, mais c’est aussi ma conviction à titre personnel, c’est qu’il faut agir tout de suite et à l’échelleOn n’est plus du tout à l’étape du test, de l’anecdote ou du pilote même si chacun et chacune ont un rôle à jouer, mais il faut aller chercher des solutions d’ampleur.
La finalité́, c’est quoi ? C’est de découpler le développement humain de son empreinte carbone ou de l’émission de gaz à effet de serre. C’est ça qui est fondamental. Sinon nous arrivons à notre perte. Ce découplage est possible, ce n’est pas une fatalité́.  Puisqu’il y a aussi la question de se dire : est-ce qu’il faut renoncer à l’activité́ humaine pour arriver à survivre du point de vue climatique ? 
Il y a évidemment des sujets de sobriété́, d’efficacité́ énergétique etc.… Mais c’est tout à fait possible, dans un certain nombre de cas, de découpler les deux et de continuer à avoir des activités humaines, raisonnables,  avec une empreinte carbone très faible ou nulle. C’est ça qu’il faut rechercher et c’est une transformation profonde. 
Je ne dis pas que c’est facile, je ne dis pas que ça ne demandera pas d’efforts, que ça ne demandera pas d’investissements etc.… C’est un défi d’une ampleur sans précèdent et c’est justement parce que ça va nécessiter des transformations profondes dans la manière de produire, de transformer, de consommer l’énergie qu’il faut l’expliquer, qu’il faut la partager.  C’est très important de susciter l’adhésion, parce que c’est grâce à l’adhésion qu’il y aura une évolution des comportements et grâce à l’évolution de nos comportements, de chacun d’entre nous et bien sûr des entreprises, qui ont un rôle tout à fait important, c’est grâce à ça que les choses vont évoluer en profondeur.  
Notre rôle à la recherche et à l’innovation, parce qu’on n’est pas responsable de tout bien sûr, c’est d’ouvrir des nouvelles voies qui sont plutôt des voies technologiques pour contribuer à cela. Je n’ai pas une vision techno centrique disant que les technologies pourraient tout, je pense que la prise de conscience collective, l’évolution des comportements individuels, des entreprises etc.… est très importante. 
Mais évidemment, étant responsable de la recherche et de l’innovation, ce qui m’intéresse, c’est d’ouvrir de nouvelles voies technologiques parce que ainsi je peux contribuer concrètement. Et c’est important  que chacun d’entre nous se pose la question de comment il ou elle peut contribuer concrètement. 

Erik Orsenna

Alors, ce qui m’intéresse, c’est que vous mettez du pluriel partout.  C’est-à-dire qu’avant, il y avait une solution, ça pouvait être le pétrole, ça pouvait être le charbon, ça pouvait même être, d’une certaine manière, le nucléaire. Et vous mettez des pluriels partout. C’est-à-dire qu’il y a plusieurs solutions, donc complexes, et il n’y a pas une réponse miracle. 
Donc moi, ce qui m’intéresse, c’est que vous expliquiez ce pluriel, ce complexe, qui veut dire que le possible est là. 

Olivier Sala

Alors effectivement, il n’y a pas une solution miracle. Et le monde technologique de la transition énergétique est beaucoup plus vaste que le monde technologique des énergies fossiles. Et ce n’est pas un hasard. C’est bien parce qu’il y avait une facilité sans équivalent du litre de pétrole qu’on a sombré collectivement, ou tout au moins notre civilisation, dans cette facilité, puisque la densité́ énergétique d’un litre de pétrole, sa capacité finalement, sa facilité d’utilisation etc.… sont telles qu’il n’y avait pas d’équivalent. 
Une fois qu’on sort de ce monde-là, effectivement, il y a un ensemble de technologies avec des solutions disponibles tout de suite, des solutions qui ne sont pas encore à maturité́ technologique mais sur lesquelles il faut travailler pour qu’à moyen-long terme, elles puissent prendre le relais, qu’il va falloir combiner dans des systèmes énergétiques qui pour partie seront plus locaux que dans le passé, avec des équilibres qu’il va falloir trouver au niveau local et au niveau global, avec une partie électrique, une partie non-électrique, avec des molécules bas carbone,
Permettez-moi de brosser à grands traits ce que veut dire la transition énergétique et les grandes voies de la transition énergétique. La première étape, qui est absolument essentielle, c’est la recherche d’efficacité́, de sobriété́, on peut utiliser plusieurs mots, mais en gros, c’est d’éviter de consommer l’énergie qu’il n’est pas nécessaire de consommer. 
Ça, pour partie, ce sont des questions techniques. Par exemple, si j’isole les logements et que je les mets à niveau, ça représente des gros investissements mais  c’est absolument essentiel. On sait que dans la nouvelle règlementation thermique, par exemple, une nouvelle maison ne consomme quasiment rien, parce qu’elle a une nature de construction qui fait que les échanges thermiques sont beaucoup plus limités. 
Aujourd’hui les pertes thermiques dans le parc de logements, mais aussi dans le tertiaire, dans les bureaux, dans les supermarchés, partout où vous allez, sont considérables. En gros, pour un continent comme l’Europe, c’est 30 à 50 % de l’énergie consommée aujourd’hui qui devrait être évités à l’horizon 20 ans si on fait toutes les rénovations qui doivent être faites. Donc c’est absolument essentiel d’arrêter de gaspiller l’énergie qui pourrait être économisée. Et ça, représente un ordre de grandeur entre 35 et 50% selon les usages, selon les géographies etc.…  mais enfin c’est considérable.
Donc ça veut dire qu’il faut beaucoup d’argent, et le premier point, c’est qu’il faut probablement aider. La transition énergétique ne peut pas survenir uniquement par les décisions d’acteurs pris individuellement qui vont optimiser leur propre intérêt économique à l’instant T. Il faut évidemment des choix politiques, c’est déjà le cas. Il y a des lois qui existent d’ores et déjà̀, il y a des projets de loi  en préparation, une programmation énergétique qui nécessite une vision sur plusieurs années etc. L’Europe s’est dotée d’une vision et d’ambition de réductions de - 55 % en 2030 pour être neutre en carbone en 2050. Donc évidemment, il faut du cadrage politique, fait à la fois de contraintes et d’encouragements, d’aides etc.… pour favoriser cette transition. Parce que même si au niveau individuel, sur votre maison, vous n’arrivez pas complètement à vous rembourser de vos travaux de rénovation et d’isolation sur vos factures d’énergie dans les trois, quatre, cinq prochaines années, ce qui est sûr, c’est qu’au niveau collectif, on a tout intérêt à ce que vous fassiez ces travaux de rénovation énergétique. Et donc c’est une bonne utilisation de l’argent public que d’encourager, d’accélérer effectivement cette rénovation qui si on la laisse à son rythme naturel, est trop lente. 

Erik Orsenna

Ça, c’est donc le premier moyen absolument nécessaire et possible, encore une fois possible. 

Olivier Sala

On ne parle que des possibles ici. 
Deuxième axe qui est tout à fait important aussi, c’est l’électrification. L’électricité́, c’est un vecteur énergétique, ce n’est pas une énergie primaire, mais l’intérêt de l’électricité́, c’est que l’on va pouvoir la produire à partir de sources renouvelablesIl s’agit à la fois électrifier les usages qui peuvent l’être et en même temps de substituer les moyens historiques de production électrique, en particulier ceux qui sont émetteurs de carbone, par des sources renouvelables. 
Les sources renouvelables, c’est quoi ? C’est l’hydraulique, bien sûr, il y en a beaucoup, mais dans un continent comme l’Europe le potentiel, de croissance est limité parce que les sites à potentiel sont exploités depuis déjà̀ pas mal d’années.  Il y a des petites choses, mais ce n’est pas énorme. 
C’est l’éolien, bien sûr, terrestre mais aussi offshore, qui représente un très gros potentiel puisque en offshore, on a des plus grosses machines avec des vents plus réguliers. Et donc, pour l’Europe, je pense que c’était une voie très importante à explorer. 
C’est le solaire qui est aujourd’hui la source de production d’énergie la plus  compétitive du monde. Rien ne peut battre le solaire et les coûts continuent à baisser. On verra jusqu’où ça continuera à baisser. 

Erik Orsenna

Avec la concurrence de l’utilisation des sols. 

Olivier Sala

Les énergies renouvelables, évidemment, ont des consommables qui sont renouvelables par définition mais utilisent du foncier. C’est une question importante en particulier pour l’Europe où on est sur des zones assez densément peuplées et où il peut y avoir des conflits d’usage du foncier. D’ailleurs on travaille sur ces sujets-là chez ENGIE, par exemple sur l’Agri-PV, dans lequel on arrive à combiner des ombrières équipées de panneaux photovoltaïques transparents, qui laissent passer la lumière utile aux plantes, aux cultures, mais qui produisent en même temps, et sur la même surface, de l’électricité́. On n’a pas tout à fait les mêmes rendements que sur un parc photovoltaïque classique, mais sur la même surface on fait de l’agriculture comme avant, voire mieux qu’avant  si on trouve la bonne combinaison, et on produit de l’électricité́.  

Erik Orsenna

Alors, permettez à l’écrivain que je suis de saluer ce très joli mot d’ombrière. C’est-à-dire qu’avec de la lumière, on fabrique de l’ombre. C’est pas mal quand même. Ça, c’est non seulement du recyclage, mais de la métamorphose. 

Olivier Sala

Absolument. 
Donc montée en puissance des renouvelables. En France, on a cette chance d’avoir une part importante de notre mix électrique qui est produit à partir de nucléaire, le nucléaire n’étant pas ou peu émetteur de carbone. Pour autant, dans les dix ou quinze prochaines années, la probabilité́ que notre parc nucléaire en Europe au sens large augmente, compte-tenu du fait que certains pays ont décidé de sortir de manière irrémédiable du nucléaire, est très limité. Donc en fait le nucléaire va se maintenir.  La France est assez volontariste sur le nucléaire mais on voit bien que déjà̀ le maintien, la prolongation des parcs, c’est important.  Le nouveau nucléaire, c’est une bonne idée dans la durée, mais ça va prendre beaucoup de temps, on le voit bien sur les nouvelles unités. Et donc ce qui va monter en puissance de manière considérable, c’est le photovoltaïque et l’éolien. 
Il faut bien avoir un chiffre en tête. Sur toute la planète aujourd’hui, à fin 2022, il y a un térawatt de puissance de photovoltaïques installé – un térawatt, c’est ce qu’on a installé depuis toujours jusqu’à fin 2022. 
On estime aujourd’hui, qu’à fin 2025, il y aura deux térawatts installés sur la planète. Donc ça veut dire qu’on aura fait en trois ans tout ce qui a été fait jusqu’à présent.  Et on pense qu’en 2030, il va s’installer cette année-là̀ sur la planète un térawatt. 

Erik Orsenna

Comme on voit qu’il y a une accélération du dérèglement climatique, il faut casser cette accélération du dérèglement climatique par une accélération des moyens mis en œuvre.

Olivier Sala

Absolument ! Et seuls les renouvelables peuvent nous donner ça. La montée en puissance des renouvelables vient avec une manière différente de gérer l’électricité́, parce que les renouvelables ont une forme d’intermittence, ce qui est assez naturel. Le photovoltaïque produit quand il y a du soleil, ce qui n’est pas une surprise. Et donc on va voir l’émergence ou la montée en puissance des notions de stockage pour arriver à faire tampon, via des batteries et différentes formes de stockage d’énergie, et aussi de gestion de la flexibilité́
Avant, une consommation d’électricité́, elle était, si je puis dire, fatale, comme on dit dans le métier, c’est-à-dire le gars qui rentrait chez lui dans un pic de froid au mois de février à 19 h et qui allumait son convecteur, il coûtait une fortune au système électrique parce que, à tout prix, il fallait allumer le nouveau moyen de production, quel que soit son impact en termes financiers, en termes carbones, pour ne pas que le système s’écroule. Parce que le système électrique est ainsi fait que s’il n’y a pas un équilibre parfait à chaque instant entre l’offre et la demande, tout s’écroule et personne ne peut se permettre que tout s’écroule. Eh bien ça, je pense que ça doit appartenir au passé et qu’une partie de plus en plus importante de la demande de la consommation d’énergie doit intégrer une part de flexibilité́, en jouant sur l’inertie et le déplacement de la consommation. 
Je prends cet exemple, mais ce client particulier, n’est pas celui qui a le plus gros potentiel de flexibilité́ par rapport à des industriels etc.… Mais il a un ballon d’eau chaude électrique, et ce ballon d’eau chaude électrique, typiquement, on peut déplacer sa consommation à un moment où l’électricité́ n’est pas en situation de pic. Il y a aussi l’inertie thermique de son logement et donc plutôt que de chauffer  à 19 h, il aurait peut-être fallu chauffer à 16 h et qu’à 19 h, au moment du pic, son convecteur soit éteint.
Cette intelligence-là, ce bon sens, il va falloir l’intégrer pour de vrai dans le système.  On sort d’un monde où l’énergie était complètement centralisée, avec des consommateurs passifs, pour aller dans un monde où il y a des équilibres à trouver et où les consommateurs seront plus actifs. Ils vont d’ailleurs eux-mêmes être producteurs, sur leur maison de photovoltaïque et ils vont être eux-mêmes contributeurs au système de stockage parce qu’ils auront sans doute un véhicule électrique qui va permettre de stocker de l’énergie etc.… 
Le véhicule électrique est un très bon exemple. Le transport représente une part importante de nos consommations d’énergie fossile aujourd’hui. On pense que sur tous les véhicules légers,  l’électrification est la meilleure option avec des batteries. Ça vient avec d’autres complexités, mais c’est de loin la meilleure option sur les 15 - 20 prochaines années. Et donc typiquement, ça va augmenter la consommation électrique. C’est pour ça que c’est important de faire l’efficacité́ dont on parlait tout à l’heure pour permettre la montée en puissance des renouvelables avec la capacité à gérer les variabilités inhérentes aux énergies renouvelables. 
Ça, c’est le deuxième pilier.

Erik Orsenna

Donc troisième axe, Olivier. 

Olivier Sala

Alors effectivement, il y a un troisième axe qui est le déploiement de molécules à bas carbone. Pourquoi ce troisième axe ? 
Il est aussi essentiel et il est un peu parallèle aux deux autres. La réduction des consommations, l’électrification à partir de renouvelables, et les molécules. Pourquoi est-ce essentiel ? Parce qu’il y a un certain nombre d’activités humaines qu’on ne sait pas décarboner avec de l’électricité́.  Je prends un exemple. La mobilité́ lourde, par exemple, n’est pas du tout adaptée. On peut discuter d’où commence la mobilité́ lourde. Un bus, ça passe encore, un petit camion , ça passe, un semi-remorque de 38 tonnes, c’est très compliqué. 
Et si vous prenez à l’extrême un cargo porte-conteneurs…

Erik Orsenna

Avec 15 000 boîtes...

Olivier Sala

On ne peut pas décarboner ce transport depuis Shanghaï jusqu’à Rotterdam  avec des batteries ion-lithium à l’électricité́, ce n’est pas possible. Ou alors, il faudrait que le porte-conteneurs ne porte que des batteries. C’est une activité, il pourrait faire des allers retours, mais ça n’a pas grand intérêt. 
Et donc, dans ces cas-là, l’électricité́ montre des limites. Elle montre des limites, parce qu’elle est très difficile à transporter. On ne peut la stocker que dans des batteries qui ont une densité́ énergétique qui n’est pas terrible, qui sont très lourdes. Et donc on a besoin de molécules bas carbone. 
On a aussi besoin de molécules bas carbone dans des situations où l’électrification complète risque d’aboutir à des pics de consommation, dont je parlais tout à l’heure, qui deviennent très compliqués à gérer. Parfois le « un peu plus » en électricité́ est un peu l’ennemi du bien parce que le pic devient trop important selon les configurations du système électrique.
Ces molécules bas carbone, décarbonées, vertes, on peut les appeler comme on veut, il y en a deux natures. Il y a d’une part des molécules qui sont issues de la biomasse, donc en gros des végétaux, des déchets organiques etc.… C’est ce qu’on appelle le biogaz, le biométhane. Il y a plusieurs technologies pour le faire. Mais la plus classique, c’est  mettre des déchets organiques dans un méthaniseur, une espèce de grande cloche. On met ça sous cloche parce que c’est important qu’il n’y ait pas d’oxygène. On met les petites bactéries qui mangent la biomasse, et qui en mangeant la biomasse, émettent du gaz. Ce gaz-là, on le filtre, on le récupère et c’est du méthane. Et ce méthane-là, il est identique au gaz naturel qu’on extrait sous la terre, et donc on peut l’utiliser.

Erik Orsenna

C’est clair. Donc on multiplie partout des milliers, des dizaines de milliers, des centaines de milliers d’estomacs un peu partout. 

Olivier Sala

Exactement. Et vous savez les bactéries sont des animaux tout à fait formidables, qui ont dans leur corps les catalyseurs qu’on essaie de reproduire par ailleurs en chimie, mais extrêmement performants et qui permettent de produire du méthane notamment, mais pas que, et c’est extrêmement prometteur.  D’ailleurs, le groupe ENGIE croit beaucoup au développement du biométhane parce que c’est très complémentaire et on est sur de l’énergie en boucle locale. Le biométhane, c’est vraiment une solution de territoire avec des intrants du territoire sans avoir recours à des matières premières qui viennent de l’autre bout du monde etc. 

Erik Orsenna

Ça, c’est clé parce que la nouvelle configuration de l’énergie, c’est sa décentralisation. Ce ne sont plus des énormes centrales. D’ailleurs, le mot-même de centrale, on voyait bien ce dont il s’agissait. 

Olivier Sala

Absolument. La deuxième famille de molécules vertes, décarbonées, renouvelables, ce sont les molécules à partir d’hydrogène. L’hydrogène, c’est un atome qu’on trouve partout, c’est l’atome le plus courant dans la nature, dans le monde, dans notre corps.
Le gaz hydrogène qui est H2, lui, on ne le trouve pas tellement à l’état naturel parce qu’il est très réactif, du coup il est très difficile à trouver. Donc l’hydrogène qu’on doit utiliser, il est produit. Aujourd’hui, il y a d’ores et déjà̀ une grosse utilisation de l’hydrogène pour des processus industriels, notamment pour du raffinage de produits pétroliers ou pour produire des engrais. Les engrais azotés sont faits à partir d’ammoniac qui est fabriqué à partir d’hydrogène. Pour bien comprendre l’enjeu qui est derrière ça, sans les 230 millions de tonnes d’engrais azotés on ne sait pas nourrir la planète aujourd'hui. 
Il faut bien comprendre que l’hydrogène qui est utilisé aujourd’hui, a une empreinte carbone de 820 ou 830 millions de tonnes d’équivalent CO2. C’est considérable.  Pourquoi ? Parce que cet hydrogène est de l’hydrogène gris, produit à partir de sources fossiles, du gaz naturel, parfois pire, avec du vaporeformage et donc c’est une production d’hydrogène très émettrice de CO2. 
Donc premier sujet, il faut remplacer cet hydrogène gris par de l’hydrogène vert renouvelable qui va être produit à partir d’électrolyse de l’eau pour laquelle on utilise de l’électricité́ renouvelable. On retrouve finalement cet enjeu de montée en puissance de l’électricité renouvelable que l’on va extraire de la molécule d’eau H20. On va séparer l’hydrogène et l’oxygène pour obtenir un hydrogène renouvelable. C’est aussi un sujet sur lequel le groupe ENGIE investit beaucoup, de même que la recherche pour substituer cet hydrogène gris. 
Mais en addition de cela, l’hydrogène va permettre de décarboner ces fameuses activités humaines, difficiles à électrifier, soit directement en utilisant l’hydrogène, soit en recombinant l’hydrogène avec autre chose, pour produire ce qu’on appelle du e-fuel. On peut fabriquer des fuels de synthèse, on peut fabriquer du gaz naturel de synthèse qui est exactement le même que le gaz naturel qu’on va extraire sous terre, ce qu’on appelle le e-méthane. Le e-méthane, c’est du CH4, c’est la même molécule. Vous pouvez l’utiliser sans rien changer et elle n’est pas émettrice de CO2 si vous l’avez produite de manière renouvelable. On peut fabriquer de l’ammoniac, j’en parlais pour les engrais, à empreinte carbone nulle. On peut fabriquer du kérosène à empreinte carbone nulle, si on a une source de carbone  biogénique ou capturée directement dans l’air. Donc l’hydrogène va jouer un rôle pivot sur ces applications critiques qu’on ne saura pas décarboner facilement par de l’électrification. 

Erik Orsenna

Alors si on résume, il y a la diversité́ des moyens, la diversité́ du possible qui existe et la responsabilité́ à toutes les échelles, de chacun, de l’Etat, de l’entreprise. Et ce terme qu’on a un peu utilisé, mais qui est aussi pertinent pour l’énergie, ce sont les consom’acteurs. 
Il y a un autre point qui est capital, on l’a vu, avec la prise de conscience de l’opinion de la dépendance vis-à-vis des pays qui ne sont pas forcément gérés par les plus gentils. Donc, comment est-ce qu’on peut coupler cette nécessité́ de se sortir de cette malédiction du réchauffement avec l’autre malédiction qui est celle de la dépendance ? 
Est-ce que c’est illusoire ou pas ? 

Olivier Sala

Alors il y a un enjeu des matières premières avec la transition énergétique, puisque de facto, on va quitter une dépendance qui est celle de la fourniture des combustibles fossiles dont l’Europe, depuis le charbon, n’était plus productrice, donc depuis bien longtemps. En revanche, la transition énergétique, et en particulier ces moyens de production d’électricité́ renouvelable et de stockage, tous ces équipements-là se construisent à partir de matières premières dont l’Europe est assez peu dotée. 
Quand on fait l’analyse des matières premières nécessaires pour les grands équipements, le photovoltaïque, l’éolien, les batteries, les électrolyseurs, etc.… on s’aperçoit qu’effectivement les gisements sont plus ou moins bien repartis sur la planète et évidemment, certains sont très concentrés, et les capacités d’extraction encore plus. C’est-à-dire qu’il y a du lithium en Europe, probablement, mais les mines de lithium, elles, ne sont pas en Europe aujourd’hui, plutôt au Chili. 

Erik Orsenna

C’est à la fois la dispersion et l’acceptabilité́. 

Olivier Sala

Évidemment. Et il faut bien être conscient que l’activité́ d’extraction minière aujourd’hui est une des plus polluantes qui existent. Mais quand on fait les projections sur les volumes de matières premières dont on aura besoin, par rapport à la capacité aujourd’hui d’extraction minière existant sur la planète, et je ne parle même pas de la question des asymétries, à savoir qui produit quoi par rapport à qui va consommer quoi, et ces asymétries sont majeures, on voit que sur un certain nombre de matières premières, ça ne va pas passer. 
Et pourquoi on sait que ça ne va pas passer ? C’est parce qu’’il faut au moins sept-huit ans pour construire une nouvelle mine, beaucoup plus longtemps sans doute en Europe à cause des questions d’acceptabilité́ sociale, parce que rien n’est simple. Le pragmatisme et l’honnêteté́ intellectuelle consistent à dire qu’aucune source énergétique, quelle qu’elle soit, n’est complètement neutre en termes d’impact. Donc, il faut bien connaitre cet impact-là. Il faut le maitriser, il faut le réduire au maximum. Et c’est pour ça que le levier d’efficacité́, de sobriété́ reste absolument pertinent dans tous les cas. Oui, il y a un sujet de matière première, il est identifié́. Pour vous donner un exemple, je vous parlais de 2030 et du térawatt-crête qui sera installé cette année-là̀. On considère que compte-tenu des technologies photovoltaïques qu’on devrait avoir à cet horizon-là, 42 % de la production d’argent mondiale de cette année-là̀ devra être alloué à la construction de ces panneaux photovoltaïques. Donc ça, ça veut dire quoi ? 
Ça veut dire qu’il y aura sans doute des tensions entre l’offre et la demande parce que l’argent ne sert pas qu’à faire des panneaux photovoltaïques dans le monde et donc ça aboutit à une volatilité́ des prix etc.… et effectivement, à cette question de la géopolitique de l’énergie dans un monde où elle sera davantage fondée sur les ressources et les matières premières que sur les combustibles fossiles. 

Erik Orsenna

Ce qui est très frappant en vous écoutant, c’est que cette transition énergétique, c’est aussi un bouleversement de notre rapport au temps,  puisqu’on l’a bien vu, il faut de l’urgence et que ça prend du temps. Deuxièmement, c’est un rapport avec l’espace. On a tout laissé aller dans la mondialisation. Maintenant, on balance dans une sorte d’illusion d’autosuffisance personnelle. Et donc on est dans un bouleversement qui n’a sans doute jamais eu d’équivalent dans l’histoire humaine. 
Et alors, face à ces bouleversements qui angoissent, est-ce que vous êtes encore optimiste ? Parce que la population ne l’est pas et donc elle refuse de voir qu’il y a des possibilités parce que les possibilités demandent l’effort. Le possible est lié à l’effort. Toujours !

Olivier Sala

Nous, chez ENGIE et moi à titre personnel, globalement,  nous sommes conscients que c’est un défi majeur, que ça va être compliqué, que c’est beaucoup d’efforts, que l’histoire n’est pas complètement écrite, c’est-à-dire qu’on va un peu l’inventer. On va l’écrire, la page pour partie est encore blanche, mais c’est possible, il y a des voies pour y arriver, il y a des chemins à tracer pour y arriver, et ce serait un grand danger que de sombrer après tant d’années passées dans une forme de déni. Il ne faut pas qu’on bascule d’un état de déni mortifère à un état d’abattement dans lequel on pourrait se dire : finalement, c’est déjà̀ foutu parce que, vu l’inertie, je vous l’ai dit tout à l’heure, on a déjà̀ 1,5 degrés, quoi qu’on fasse pour les années 2030. Et puis on n’est qu’une petite partie des émissions, il y a d’autres grands pays dans le monde qui émettent beaucoup plus que nous. Donc nous, finalement, ce qu’on fait, ça n’a pas d’impact etc.… En somme une espèce d’abattement ou de renoncement qui serait mortifère aussi parce que la réalité́ et le GIEC l’a souligné dans son dernier rapport, c’est que oui, on est dans une situation d’alerte, on ne peut pas dire le contraire, mais en même temps, il y a des solutions et les solutions nous imposent d’agir vite, elles nous imposent d’agir fort.  
C’est possible. Je pense que l’optimisme, c’est plus qu’un état d’esprit, c’est un devoir. Parce que l’optimisme, c’est « la chance qui sourit aux esprits préparés », comme disait Pasteur. Et donc, l’optimisme, c’est aussi dessiner des opportunités que l’on va construire et que l’on va aller chercher. 
Chez ENGIE, on est convaincu de ça, on ouvre les voies technologiques pour le faire. Alors, ce n’est pas nous tous seuls, ce n’est pas que la technologie, une fois de plus, mais on pense que oui, on voit des solutions et on pense que l’optimisme est une nécessité́ absolue. Il faut lutter contre un pessimisme, contre une espèce de « no future ». En bon français, on disait finalement : comme il n’y a pas d’espoir, autant cramer nos dernières cartouches pour nos derniers soirs, etc. Ce serait absolument irresponsable. Il n’est pas trop tard pour agir, bien au contraire. 

Erik Orsenna

C’est vrai ce que vous avez décrit, ce passage du déni au désespoir. Et contre ça, il y a une seule réponse,  c’est celle du possible.  C’est une sorte de pléonasme , c’est-à-dire on redit la même chose quand on dit vivre le possible, parce que le possible, c’est le vivre. 
Merci Olivier. 
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