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Le lien entre eau et énergie
Podcasts 18/10/2023

Le lien entre eau et énergie

Dans ce douzième et dernier épisode de nos podcasts consacrés au futur de l’énergie, Erik Orsenna accueille Emma Haziza, Hydrologue.

Quand l'eau de surface disparait, l’homme qui s’était installé tout autour est obligé lui aussi de partir.

On a oublié que le temps est nécessaire pour le cycle de l’eau.

Ecouter le podcast 


Erik Orsenna

Bonjour, Emma Haziza. Vous êtes Docteur de l’École des Mines de Paris et vous avez créé un centre d’action et d’adaptation aux transitions climatiques qui s’appelle Mayane. Vous avez une analyse très précise sur un certain nombre de questions, notamment sur la question de l’énergie et sur les relations de l’eau avec l’énergie. On se rend compte, avec le manque, que l’eau est partout. Est-ce que l’eau est aussi beaucoup dans l’énergie ?

Emma Haziza

Bien sûr. On se rend de plus en plus compte que l’eau est derrière notre alimentation, notre assiette et nos habits. Mais on a moins souvent conscience du fait qu’elle se trouve derrière quasiment toutes les formes énergétiques. Pour extraire du pétrole, il faut injecter de l’eau pure, pour l’extraction du charbon, là encore il faut de grands cuvelages d’eau pour trier ce qui est bon du mauvais.

Erik Orsenna

Grâce à l’eau on fait la différence entre le bon grain et l’ivraie. C’est notre alliée pour une certaine forme de vérité.

Emma Haziza

Je vous donne un exemple. En 2021, nous avons eu une très grande sécheresse en Chine, sur la rivière des Perles, et à ce moment-là, il a fallu essayer de trouver de nouvelles formes énergétiques puisque la principale forme d’énergie qui utilise l’eau, ce sont les barrages hydroélectriques. Or, ils étaient vides à ce moment-là. La Chine a donc décidé de se reconvertir très rapidement en direction du charbon, sauf qu’il n’y avait pas assez d’eau pour extraire le charbon. À ce moment-là, la Chine a dû aller acheter, dans les grands méthaniers qataris, du gaz naturel liquéfié.

On voit donc à quel point il y a un lien entre tous ces modes énergétiques et que la question de l’eau est, en fin de compte, au cœur de l’énergie.

Erik Orsenna

Prenons ce qui paraît le plus évident, à savoir l’énergie hydroélectrique. Comme son nom l’indique, s’il n’y a pas l’hydro, il y a peu d’électricité. Comment voyez-vous la situation de la ressource hydrique à l’échelle mondiale d’une part et pour la France et l’Europe ?

Emma Haziza

Une étude récente met en évidence le fait que l’on a perdu un peu plus de 50 % de nos lacs et notamment de cette eau superficielle dans ces retenues, que ce soit des retenues créées par l’homme ou des retenues naturelles. 

Cette eau a tendance à disparaître et, ce qui est intéressant, c'est qu’elle renaît dans des endroits où l’homme n’est plus, dans les plaines tibétaines, sur le Grand Rift africain. C'est comme si l’eau cherchait à se réfugier quelque part où on la protège, où on ne la touche pas, puisque là-bas, les réserves se reforment. Par contre, on est en train de perdre nos eaux de surface. Quand cette eau de surface disparait, l’homme qui s’était installé tout autour est obligé lui aussi de partir. Cette étude est assez intéressante parce qu’elle nous montre tous ces mouvements qui se déroulent et cette eau qui est en train de se réduire comme une peau de chagrin à l’échelle planétaire.

Erik Orsenna

À l’échelle française, je crois que les ressources hydriques représentent 10 à 12 % de l’électricité. Comment voyez-vous ça à l’échelle de 10 à 20 ans pour nous ?

Emma Haziza

Un peu à l’image du lac de Serre-Ponçon, qui a été très emblématique durant la sécheresse notamment de 2022. Ce lac est avant tout un barrage hydroélectrique qui normalement fournit de l’électricité. Il matérialise l’image de tous ces acteurs, ces utilisateurs de l’eau qui se trouvent autour. D’un côté, on a les populations qui vivent de l’activité touristique. En aval, on a les agriculteurs, on a les villes que l’on doit alimenter en eau potable. Tous ces acteurs sont donc au centre des discussions avec EDF qui n’a pas pu produire d’énergie. Dans les projections climatiques pour les 10 prochaines années, la France est le pays qui se réchauffe le plus vite au monde, et on assiste à une bascule qui est en train de se jouer. 

Erik Orsenna

La France est le pays qui se réchauffe le plus vite au monde ?

Emma Haziza

Exactement. 20 % plus vite que le reste du monde.

Erik Orsenna

Dans un livre que j’avais écrit il y a 15 ans sur l’avenir de l’eau j’écrivais : « Si une chose est claire, c'est que les questions de sécheresse ne toucheront jamais notre pays, pays tempéré s’il en est. »

Emma Haziza

Eh bien, c’est peut-être ça le problème. Nous étions un pays non seulement tempéré, mais riche en eau avec de nombreux utilisateurs. Et c'est ce qui rend plus difficile ce gap, cette bascule très puissante entre le fait d’être dans une situation très confortable et le fait d’arriver dans une situation où l’on court vers l’aridification du territoire. 

Erik Orsenna

C’est le syndrome de l’enfant gâté.

Emma Haziza

C’est ça. Et pourquoi est-ce beaucoup plus difficile que pour des pays qui avaient l’habitude du stress hydrique chronique et qui ont pris le temps de s’habituer ? Nous ne sommes absolument pas prêts, nous n’avons absolument pas changé nos filières agricoles parce que la bascule s’est faite en 5 ans. Et 5 ans, c'est trop rapide pour pouvoir s’adapter sur le plan humain. 

Et pourquoi est-ce que la France est particulièrement concernée ? Parce que c'est l’Arctique qui se réchauffe le plus rapidement dans le monde. C’est donc l’Amérique du Nord et l’Europe du Nord. Et au milieu de cette Europe du Nord, la France dont la frange littorale atlantique voit habituellement arriver, sous les vents dominants, l’humidité apportée par les situations de dépression. Sauf que l’on est en train de changer le sens des vents. En changeant les aiguilles d’une montre, on commence à perdre notre eau alors que l’on avait tendance à en gagner. L’eau qui arrivait à Brest permettait d’avoir de l’eau à Strasbourg. Aujourd’hui, on perd  l’eau qui est présente parce qu’on a perdu les zones dans lesquelles on pouvait la conserver, les zones humides, tous ces mares qui sont asséchées pour gagner des terres agricoles, sont des zones où les petits cycles de l’eau se faisaient et ne se font plus actuellement. On peut donc se poser des questions sur nos grands barrages. On a vu la Loire en 2022, on voit très bien que le Rhône peut vivre des extrêmes climatiques depuis toujours. En 1976, on jouait à la pétanque dans le lit majeur du fleuve. Pour autant, on est sorti d’une variabilité climatique. On est sur une tendance avec des taux d’enneigement qui vont chuter massivement. Donc les cours d’eau seront moins alimentés, et on sera dans la situation qu’est en train de vivre la Chine ou les grands barrages brésiliens qui se sont retrouvés à sec en 2021 avec une sécheresse historique.

Erik Orsenna

Donc, dans le mix énergétique, autrement dit l’apport des différentes sources d’énergie, vous êtes très méfiante vis-à-vis de la possibilité d’attendre beaucoup des barrages. 

La question se pose aussi, on l’a vu en travaillant sur les questions minières, c'est celle  des apports pour fabriquer des panneaux photovoltaïques, des éoliennes. Évidemment, comme dans tout processus industriel, on a besoin d’eau. Si on n’a plus de ressource directe ou de moins en moins de ressources d’origine hydrique, comment va-t-on faire pour trouver des sources d’énergie moins gourmandes en eau ?

Emma Haziza

Il y a une question cruciale. Prenons l’exemple du lithium et du désert d’Atacama. Quand on a beaucoup de pétrole ou beaucoup d’argent, on a beaucoup d’eau. En l’occurrence, on est capable de faire venir de l’eau sur la plaine littorale du Chili, lui faire remonter 1 500 kilomètres dans les terres, remonter à 2 500 mètres d’altitude pour alimenter en eau désalinisée les plaines d’Atacama pour extraire le lithium parce que le jeu en vaut la chandelle. 

En fait, on est capable d’amener de l’eau partout. Regardons les Émirats arabes, on a des territoires entiers qui ne sont traversés par aucun fleuve et qui pour autant désalinisent massivement, avec les conséquences que l’on connait aujourd’hui, que ce soit l’utilisation de plus d’une dizaine de produits chimiques ou la sursalinité, cette saumure que l’on va rejeter localement. On voit apparaître de nouvelles solutions, elles sont encore loin mais elles sont intéressantes. Ce qui me semble dommage, c'est d’imaginer que c'est la solution unique. Entre ça et la réutilisation des eaux usées, on a un peu tendance à sortir la baguette magique en disant : « On a 96,6 % de nos océans qui sont là. » Voire même : « On a trois fois l’équivalent de nos océans à 700 kilomètres sous terre ». On pourrait même imaginer des choses incroyables. De l’eau, on en a, mais l’eau disponible est effectivement très rare.

Erik Orsenna

Et très chère.

Emma Haziza

Elle est très rare, elle est très chère, parce que c'est de l’eau douce. Elle est consommée massivement partout dans le monde. On est en train d’extraire de l’eau partout dans nos nappes phréatiques parce que c'est l’eau douce la plus facile à récupérer. Il suffit de faire des forages partout, on l’a fait. Aujourd’hui, on le voit, la NASA nous montre, sur ces 20 dernières années, l’évolution de la gravité terrestre. On se rend compte qu’il y a 19 points de bascule dans le monde, dans lesquels on a extrait toute l’eau des nappes souterraines. Et dans les grandes plaines américaines, il faudrait 2 500 ans de pluie pour restaurer ces nappes phréatiques.

Une bascule est en cours, il va falloir trouver des recours. L’un des recours qui peut être intéressant, c'est l’osmose. L’énergie osmotique est une solution intéressante encore trop peu explorée.

Erik Orsenna

On va dire trois mots de cette énergie osmotique. J’ai visité un des laboratoires de la compagnie nationale du Rhône, CACO, où ce mécanisme est encore à l’état de test. Pourriez-vous nous décrire ce qu’est l’énergie osmotique ? Pour moi, c'est une sorte d’allégorie de la rencontre, du coup de foudre, parce que c'est au fond le lien entre l’eau douce et l’eau salée.

Emma Haziza

Exactement. Cette énergie est produite par le différentiel de salinité.

Erik Orsenna

C’est-à-dire que l’énergie vient de la différence.

Emma Haziza

Des deux états qui se rencontrent.

Erik Orsenna

Et de l’accueil de la différence. C'est quand même formidable.

Emma Haziza

Exactement, oui. Et ces eaux peuvent se rencontrer pour produire de l’énergie. C'est intéressant parce que lorsque l’on regarde toutes les eaux dans le monde, on voit très bien à quel point les eaux ne se croisent pas. Les océans se rencontrent, mais ils ne se traversent pas mutuellement. On est capable de voir, quand on va au Cap, en Afrique du Sud, à quel point ces océans sont l’un contre l’autre.

Erik Orsenna

Même l’Amazone. J’ai été plusieurs fois à Manaus où le rio Negro et le rio Solimões coulent l’un à côté de l’autre. Encore une fois, comme dans l’allégorie de l’amour, on sait qu’on va se rencontrer, mais on met du temps pour admettre qu’on va se rencontrer.

Emma Haziza

Cette capacité semble intéressante parce qu’il n’y a pas d’externalité négative, ce qui est le cas aujourd’hui pour la désalinisation ou la réutilisation des eaux usées, qui doivent être pensées et réfléchies dans certains cas seulement. Nous avons encore plein d’autres solutions. Je crois notamment beaucoup dans le fait de récupérer la vapeur d’eau et de la condenser pour un usage local.

Erik Orsenna

Une chose dont tous nos auditeurs doivent prendre conscience, c'est la magie des différents états de l’eau. Il y a l’eau liquide, il y a l’eau à titre de vapeur, il y a l’eau à titre de glace, à titre de neige, etc. L’eau change de nature, et dans ce changement une énergie naît. Je cherche aussi, en tant qu’écrivain, ces grands échos entre l’aventure de l’eau et les aventures de l’énergie. Parce que l’eau, l’énergie et la vie, c'est pareil.

Emma Haziza

Elle change d’état et elle change de réservoir. C’est ce qui se passe aujourd’hui à l’échelle mondiale et cette danse se fait grâce au soleil, ce soleil qui a tendance à s’accentuer.

Erik Orsenna

C’est magnifique ce que vous dites. C’est-à-dire que c'est la danse du soleil.

Emma Haziza

C’est la danse de l’eau qui, à un moment donné, rejaillit. Et je crois que l’eau est en train de se mettre au diapason du monde. C'est-à-dire que le cycle de l’eau s’accélère actuellement et notre monde s’accélère.

Erik Orsenna

L’eau donne le la. 

Emma Haziza

Exactement. Notre monde est en train d’accélérer. Je trouve qu’il y a quelque chose d’assez effarant dans le fait de souhaiter que tout aille toujours plus vite dans notre monde. Tout doit être rectiligne, notre cours d’eau doit aller plus rapidement là où il doit se rendre. En fin de compte, on a oublié que le temps est nécessaire pour le cycle de l’eau. L’eau qui change de réservoir ne va jamais rester le même espace de temps et elle va parfois rester des milliers d’années dans un endroit, puis quelques semaines dans un autre et elle va repartir dans l’atmosphère quelques heures. Sauf qu’avec une température plus élevée, on accélère le temps où elle va condenser, se précipiter, toujours plus violemment. On l’a vu récemment avec les inondations en Italie et ailleurs.

Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation, on me disait ça quand j’étais petite. Et en effet, cette pluie arrive sur le sol et ne trouve pas son chemin sous terre. C'est le principal problème aujourd’hui de la pluie. Normalement tout est régulé parce que notre territoire est une éponge. Sauf qu’avec des engins qui compactent trop les sols agricoles, avec des villes qui s’artificialisent, l’eau ne trouve plus son chemin. Quand elle trouve son chemin sous terre, elle a le temps de se reposer, elle a le temps de s’enrichir, c'est ce qui permet d’avoir des eaux minérales. Elle a le temps ensuite de trouver son chemin jusqu’à sa source pour renaître. On ne lui laisse plus cet espace-là. C'est comme si on avait fermé un réservoir et de ce réservoir qui a accumulé, durant des millions d’années de l’eau, on extrait cette eau fossile. On extrait de l’eau qui a pris son temps et ce que l’on souhaite, nous, c'est gagner du temps.

Tout va à l’envers. Pourtant, si l’on arrive à retransformer ce cycle et à prendre le temps, les sources renaissent et rejaillissent.

Erik Orsenna

Si le sol va mal, qu’il est sec ou mort, l’eau ne va pas y trouver son chemin. En termes de proportion, nous avons autant artificialisé les sols en France que l’on a détruit de forêt amazonienne. C'est-à-dire que d’une certaine manière, comme vous le dites justement, on a privé l’eau des endroits où elle pouvait mener sa vie. Et on dit : « On va la réserver », sauf qu’elle n’entre pas dans le sol.

Emma Haziza

J’entendais hier un hydrologue parler et dire : « Finalement, il n’y a aucune différence entre de l’eau évaporée d’un champ de maïs et de l’eau évaporée d’un arbre. Et quelque part, l’arbre utilise trop d’eau, donc il pose problème. » Ce n’est pas la première fois que j’entends ça, et c'est incroyable parce que si l’on ne prend qu’un bout de la lorgnette, on n’a qu’un bout de la vérité.  L’arbre, quand il puise 1 000 litres d’eau, qu’il transpire cette eau, qui ensuite génère de la vapeur d’eau, accompagnée par les pollens et par tout ce qu’il va émettre, permet de nucléer la goutte d’eau et c'est lui qui recrée ensuite la pluie. On comprend qu’il faut absolument respecter cet élément. 

Et il y a quelque chose que l’on oublie, c'est que nous ne sommes pas les seuls utilisateurs de l’eau, le monde entier, le vivant a besoin d’eau. Donc, chaque fois que l’on décide de dérouter un cours d’eau, c'est tout le vivant qui s’effondre. On a le sentiment que l’on ne va vivre qu’à travers des tuyaux dans ce monde et que la seule chose qu’il nous reste, c'est notre capacité énergétique pour produire toujours plus. C’est finalement la question très fondamentale « qu’est-ce que l’on veut, qu’est-ce que l’on souhaite ? » On ne mange que trois fois par jour, mais en fin de compte, on veut toujours plus. Mais toujours plus pour quoi ? 

Cette question, on ne se la pose plus et je vois que l’on est en train de basculer vers un monde qui devient malheureux parce qu’il ne prend plus le temps de réfléchir à ses vrais besoins et à ce qui est essentiel pour lui. Je crois que c’est quand on retrouve cet essentiel que l’on renaît. Je reviens de Colombie, j’ai vécu trois semaines avec le peuple Kogi, la seule chose que l’on a fait, c'est rire, manger et partager des discussions pendant 6 heures. L’essentiel est là.

Erik Orsenna

Et leur vision du monde, c'est quoi en résumé ? La grande différence avec nous, c'est le temps déjà, ils prennent le temps.

Emma Haziza

Déjà ils ne sont pas déconnectés de la terre. C'est-à-dire qu’ils sont une suite logique de leur territoire, ils ont des liens. Leur territoire est un peu comme des points d’acupuncture, des espaces sacrés qu’il faut protéger, qu’il faut préserver et chaque élément trouve son sens. J’ai été voir un territoire dans lequel des friches avaient été créées par de l’élevage intensif et des exploitations de caté intensives. Les terres ont été rachetées par une association française qui les aide à récupérer les terres ancestrales qu’on leur avait volées. En 6 ans, j’ai vu tout se transformer. J’ai vu les photos d’avant, toutes les études qui avaient été menées. Ce qui est incroyable, c'est que j’ai vu renaître les sources. Pourquoi ? Parce qu’ils célèbrent la grenouille, parce qu’ils célèbrent chaque élément à sa place. On a oublié que l’on était à l’intérieur d’un système dont nous sommes nous-mêmes un élément.

Erik Orsenna

C’est exactement la bataille que l’on va mener pour essayer de redonner un espace au massif guinéen du Fouta-Djalon d’où partent les plus grands fleuves de l’Ouest africain, le fleuve Sénégal, le fleuve Gambie et surtout le fleuve Niger, exactement pour sauver ce que l’on appelle les « têtes de sources », une formule que j’aime énormément. 

Emma Haziza

Ils nous ont dit : « Mais vous savez, les montagnes parlent entre elles. » On leur a demandé comment elles communiquent. Ils nous ont dit : « Mais elles communiquent à travers les nuages. Un nuage passe sur une montagne, il prend les informations et il les transmet à la montagne qui se situe à côté.

Erik Orsenna

C'est exactement ce qu’on a vu avec les arbres, qu’ils parlaient entre eux.

Emma Haziza

Exactement.

Erik Orsenna

C’est exactement le travail de petit reporter que je fais entre les champignons, les bactéries et les racines.

Emma Haziza

Oui, tout cet équilibre.

Erik Orsenna

Tendez l’oreille, ils se parlent. Nous n’avons pas le monopole de la parole.

Emma Haziza

Quelque chose d’encore plus incroyable, ils nous expliquent qu’une rivière, c'est un livre, un livre ouvert qui nous raconte une histoire. Et chaque jour, ils vont au bord de l’eau, ils prennent de l’eau et ils lisent ce que la rivière leur raconte.

Erik Orsenna

C'est exactement ce que l’on va faire, puisqu’on va faire adopter par des classes de CM1 et de CM2 200 à 300 mètres de rivière. Ainsi, en même temps qu’ils vont apprendre à lire, il suffit de supprimer une consonne et on passe de livre à libre et on avance comme ça. 

Emma Haziza

On a besoin de retrouver notre liberté, on a besoin de retrouver notre pouvoir. Et surtout, il faut que les enfants se reconnectent à leur territoire de vie. Ils ne savent même plus qu’il y a une rivière à côté. Ils pensent que c'est un chemin, mais il faut leur expliquer et leur permettre de lire ces paysages. Ils sont maintenant capables de lire leur téléphone portable tous les jours, mais à un moment donné, si l’on ne se réancre pas là où l’on est, on perd la mémoire. 

Erik Orsenna

Vous voyez donc que les questions posées par l’énergie entraînent évidemment des données techniques, osmose, recyclage…  On peut trouver des réserves à certains moments en fonction de la dimension géologique, etc. Mais derrière, c'est bien plus que cela et l’on voit à quel point l’eau n’est pas seulement une matière, c'est le miroir de nos civilisations. Je crois savoir que au cours de votre voyage, vous étiez avec un très grand mathématicien, qui se trouve être un ami intime avec qui nous avons des projets, Cédric Villani.

Emma Haziza

Exactement.

Erik Orsenna

A l’extrémité a priori la plus abstraite de la science, les mathématiques, la plus inhumaine, que va chercher quelqu’un comme Cédric dans cette tribu lointaine ?

Emma Haziza

Ce qui était fantastique, c'est que Cédric nous a apporté un autre regard, il nous a apporté des questions que l’on ne se posait pas. Il était complémentaire dans une forme de maillage d’une pluridisciplinarité représentée par six scientifiques. Chacun arrivait avec ses concepts, avec son histoire – deux très grands naturalistes, une physicienne, une anthropologue – et tout ce monde-là essayait de créer un lien de dialogue. De dire : « On ne se connaît pas, apprenons à nous connaître, apprenons à échanger enfin. » 

Le peuple Kogi est la dernière société précolombienne dans la vallée de la Sierra Nevada de Santa Marta, une montagne incroyable qui monte à 5 775 mètres d’altitude, à 42 kilomètres de la mer. C'est-à-dire que plus vous montez, plus vous voyez la mer, c'est absolument splendide. Ces paysages si exceptionnels sont en train de perdre leur eau, puisqu’ils perdent leur neige. Et les Kogi nous expliquent que la neige, c'est la mémoire d’une montagne, si on perd la neige, on perd son histoire. 

Erik Orsenna

Et son langage. C'est-à-dire que la montagne ne va plus pouvoir parler.

Emma Haziza

Exactement. Et donc, ils nous ont dit : « On est dans une situation tellement grave qu’il faut que l’on se mette à communiquer ensemble ». Que ce soit Cédric ou les autres, on a tous été ébranlés. On a tous été remplis par ce que doit être l’humanité. Nous sommes nous-mêmes faits d’eau, nos cerveaux sont faits d’eau, on ne pourrait pas discuter si nous n’avions pas toute cette eau. Eux nous ont regardés et ils nous ont dit une chose : « Pourquoi avez-vous touché cette eau sous terre ? Il fallait la laisser. Vous aviez les sources, vous aviez des fleuves. Pourquoi avez-vous été enlever cette eau dans ce lieu où elle était protégée ? » Pour eux, ils font partie de cette terre, alors que nous sommes complètement déconnectés. Cette reconnexion est donc essentielle si on veut réussir à avoir un futur durable, habitable. Mais ce qui est exceptionnel, c'est que la nature est résiliente, elle renaît, elle rejaillit partout où on la laisse respirer.

Erik Orsenna

Si on résume ces propos d’une extraordinaire richesse, deux points me frappent. Le premier point, ce sont tous les liens que nous avons coupés. Nous avons tout fait pour nous séparer, nous séparer d’une part et d’autre part pour accélérer. 

Emma Haziza

Je crois qu’en voulant se séparer, on a cru gagner du pouvoir. Mais en fait, on a perdu notre pouvoir à ce moment-là, parce qu’on s’est connectés à d’autres éléments. On a passé toutes ces dernières décennies à se faire hacker par le neuromarketing qui nous dit exactement comment on doit vivre, ce qu’il faut acheter, ce qui est bon pour nous pour être heureux et on a oublié de se poser nous-mêmes la question. C'est quelque chose qui va bien au-delà de la question de l’eau, mais qui est à l’image de nos sociétés. Et l’eau va mal partout sur la planète parce que notre société va mal.

Erik Orsenna

C’est le miroir.

Emma Haziza

Et là où l’eau va bien, on est heureux.

Erik Orsenna

Et on dit : « J’ai mal au dos », mais on pourrait dire « J’ai mal à l’eau. »

Emma Haziza

Exactement. Et je crois que j’ai vraiment mal à mon eau et qu’il est temps qu’on la fasse rejaillir.

Erik Orsenna

Merci, chère Emma, à bientôt.

Emma Haziza

Merci, Erik.


Ecouter le podcast 


Voix de l'eau en France, Emma Haziza est chercheur-entrepreneur au service de la massification de l'adaptation au changement climatique. Chroniqueuse sur France Info, conférencière inspirante, Emma a fondé sa propre structure de recherche-action Mayane Resilience Center et poursuit actuellement son action via le développement d'une start-up Mayane Labs. Elle préside également l’association Mayane Éducation pour  sensibiliser les enfants aux gestes qui sauvent dans les vallées inondables, aux économies d'eau et à l'impact local du changement climatique.

Docteur de l'Ecole des Mines de Paris et Scientifique reconnue pour ses qualités pédagogiques et sa capacité d'action, elle intervient au sein de comités scientifiques (UNICEF, France Ville Durable, Ministère de la fonction publique, etc.) et conseils d'administration (Eau de Paris).


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