Jan, pour commencer, peux-tu nous présenter rapidement le Conseil Scientifique d’ENGIE qui a préparé ce rapport sur les techniques d'élimination du dioxyde de carbone ?
Le Conseil Scientifique d’ENGIE est composé de 10 membres, experts scientifiques de haut niveau dont la plupart occupent également des postes dans l'industrie, en dehors du Groupe, et sont reconnus dans leur domaine.
Ils ont pour mission de partager leur vision scientifique sur les attentes de la société, les développements technologiques, économiques et socio-politiques. Ils explorent et analysent les sujets qui leur sont soumis par ENGIE et proposent des avis issus de leur expertise et de leur expérience. Passionnés par la transition énergétique, les membres du Conseil Scientifique se réunissent deux fois par an pour mettre en commun leur approche disruptive et multidisciplinaire. Les travaux du Conseil Scientifique sont coordonnés par le département scientifique de ENGIE R&I.
Le 10 avril 24, nous avons présenté l'étude sur « Quelles sont les technologies critiques liées à la gestion du CO2 dans la transition énergétique ? » (What are the critical technologies related to CO2 management in the Energy transition ?), en réponse à la question posée par Catherine MacGregor et son ComEx.
Peux-tu nous résumer les points clés de ce rapport ?
Aujourd’hui, nous émettons 40 gigatonnes de CO2. Pour arriver à l’objectif de limiter le réchauffement climatique à +1,5 degré, il faut suivre la courbe rouge (voir graphique ci-dessus) et donc être parvenus à la neutralité carbone en 2050. Mais pour en arriver là, dès 2030, il faudra commencer à éliminer le CO2 présent dans l’atmosphère et le stocker. (partie bleue sur le graphique). Cela correspond à l’évaluation présentée par la Commission Européenne en février 2024, qui recommandait pour 2050 d’avoir réduit les émission de gaz à effet de serre de l’Europe de 90% par apport à 1990.
Pourquoi faut-il éliminer le carbone de l’atmosphère alors que l’on prévoit de ne plus en émettre en 2050 ?
On sait déjà qu’on ne va pas arriver à arrêter d’émettre à 100%, on estime qu’il restera 4 gigatonnes d’émissions de CO2 qu’il faudra compenser. Aujourd'hui nous émettons 40 gigatonnes de carbone, si on prévoit en 2050 de réduire de 90% les émissions, cela laissera quand même 10% des émissions de carbone (donc 4 gigatonnes) qu’il faudra compenser. Compenser, ça veut dire disposer de technologies qui savent ôter le CO2 de l’atmosphère et le stocker.
Quelles technologies existent pour capter le carbone de l’atmosphère et le stocker ?
Ces nouvelles technologies appellées "Carbon Dioxide Removal (CDR)" ne sont pas encore très bien connues, nous en avons listé 13 et les avons étudiées en détail.
Parmi ces technologies, citons :
- L’afforestation et la reforestation, à savoir reboiser des zones anciennement boisées (< 50 ans) ou boiser de nouvelles zones.
- Les technologies comme le Direct Air Capture et CCS (DACCS) sont des technologies qui captent le CO2 de l'atmosphère et le stockent en sous-sol. Certaines technologies proposent d’augmenter le taux de CO2 dans le sol, par exemple en labourant moins et/ou en laissant la biomasse au sol, ce qui permet d’augmenter le taux de carbone dans le sol.
- D’autres technologies, comme la préservation ou le développement des mangroves permettent aussi de capter le CO2
Sur les différentes techniques de décarbonation qui s'inspirent de la nature voir le Rapport d'ENGIE Research & Innovation sur les Technologies Durables Emergentes de 2023
Il existe une catégories de technologies dites de géo-ingénierie parmi lesquelles certaines proposent de modifier le PH de l'océan pour le rendre moins acide, ce qui lui fera absorber et stocker d’avantage de CO2 issu de l'atmosphère. D’autres projets envisagent de fertiliser l’océan pour qu’il développe plus d’algues (qui captent également le carbone via la photosynthèse) et ensuite couler ces algues au fond de l’océan pour y stocker le carbone emmagasiné.
Sur les différentes techniques de décarbonation liées à l’océan, voir le Rapport d'ENGIE Research & Innovation sur les Technologies Durables Emergentes de 2024
En collaboration avec le conseil scientifique, nous avons établi un classement de ces technologies et sollicité leur évaluation pour identifier celles qu'ils considèrent comme les plus prometteuses. Nous avons débuté par une évaluation de la maturité et du potentiel de ces technologies, en tenant compte de leur coût, de leur performance ESG (environnement, social, gouvernance) ainsi que des critères environnementaux et sociétaux. Cette méthode montre que les technologies de géo-ingénierie, telle que la fertilisation des océans, présentent un faible indice ESG, tandis que l'afforestation et la reforestation apparaissent comme des solutions moins risquées.
Nous avons également examiné l'efficacité des solutions en termes de durée de stockage du CO2. Par exemple, le CO2 stocké dans le bois utilisé comme matériau de construction ne retient le carbone que pendant une centaine d’années, tandis que les technologies de DACCS visent à stocker le carbone pendant plus de mille ans.
En croisant tous ces indices, nous sommes arrivés au tableau ci-dessus, qui montre le potentiel de ces différentes technologies. Les technologie de DACCS sont en tête sur l’indice de qualité, une moyenne entre le score ESG et le temps de stockage estimé.
Pourquoi cet article est-il important ?
Même si aujourd'hui tout le monde pense que c'est encore bien loin, on voit clairement que dès 2030 il faudra commencer à éliminer le carbone présent dans l’atmosphère en parallèle de la réduction des émissions. Aujourd'hui, nous ne maîtrisons pas encore tous ces éléments, nous ne comprenons pas tous les risques sociétaux et environnementaux liés à ces nouvelles technologies. C'est pour ça qu’il est important pour ENGIE d’avoir un avis externe de notre conseil scientifique sur les technologies qui sont aujourd’hui les plus prometteuses.
Nos résultats soulignent l’importance d’une approche holistique du CDR (Carbon Dioxyde Removal, l’élimination du dioxyde de carbone), prenant en compte non seulement la faisabilité technique mais également les impacts environnementaux, sociaux, de gouvernance et la durée de stockage. Pour atteindre la neutralité carbone d'ici 2050, nous devrons déployer certaines de ces technologies. Pour ce faire, il est essentiel de déterminer laquelle est la plus efficace avant de mettre en place une stratégie intégrant cette technologie.
Ce n’est pas la 1ère étude que vous publiez avec le Conseil Scientifique ?
Est-ce qu’on peut déjà révéler sur quel sujet le Conseil scientifique va travailler cette année ?
Oui, le sujet c'est «Relation entre la chimie du carbone renouvelable et l’énergie : compétition ou symbiose ?»
Bien que nous ne puissions pas garantir la publication de l'étude, nous ferons tout notre possible pour y parvenir.