Si depuis une dizaine d’années, les politiques climatiques s’efforcent de rendre les transports routiers mondiaux plus écologiques, le transport aérien quant à lui volait encore récemment sous le radar climatique. Prendre l’avion reste, il est vrai, une activité ponctuelle et joue un rôle limité dans nos émissions de carbone personnelle – ce qui explique d’ailleurs que l'aviation civile ne soit pas mentionnée dans les accords de Paris de 2015.
Reste que le fret aérien est responsable de près de 12% des émissions CO2 liées aux transports ; et à l’heure où une réglementation internationale plus stricte se profile à l’horizon, le secteur est en quête d’alternatives durables aux combustibles pétroliers.
Voici un petit état des lieux des alternatives au carburant dans le secteur aérien, ainsi qu’une sélection de projets qui ont retenu notre attention :
LE B.A.-BA DES CARBURANTS AÉRONAUTIQUES
- Aujourd’hui ? Les avions utilisent principalement deux types de carburant : la gazoline et le kérosène. La première n’est utilisée que par des petits avions équipés de moteurs à allumage commandé – avions commerciaux ou privés de petite taille, par exemple – tandis que le kérosène, ou « carburéacteur », est utilisé pour alimenter les moteurs à turbine de moyenne et grande taille. Ces deux carburants sont fabriqués à partir de dérivés non renouvelables du pétrole, et représentent chaque année environ 177 milliards de litres de carburant aéronautique.
- Des alternatives. L’industrie aéronautique a mis du temps à s’adapter à la nouvelle réalité environnementale, mais les projets de recherche sur des carburants alternatifs se sont multipliés ces dix dernières années. La majorité de ces travaux se penchent sur le développement de biocarburants viables, c'est-à-dire tout carburant liquide dérivé de matières biologiques : arbres, déchets agricoles, semences ou herbe. Parmi les autres carburants émergents, on compte également l'hydrogène et le kérosène synthétique.
LES AVANTAGES
- Climat. Pour peu qu’ils soient dérivés de types de biomasse adéquats et qu’ils reposent sur des processus de conversion durables, ces biocarburants alternatifs prometteurs permettraient de réduire drastiquement les émissions en dioxyde de carbone – jusqu’à -80%, selon certaines études. Ces biocarburants de substitution pourraient en outre limiter d'autres pollutions atmosphériques, comme les oxydes de soufre ou d'azote.
- Coûts. Les carburants comptent pour beaucoup dans les dépenses des compagnies aériennes : diversifier les sources de carburant permettrait de préserver les compagnies des fluctuations du prix du pétrole. Sans compter que les nouvelles réglementations climatiques, de plus en plus strictes, ne manqueront pas à terme de faire augmenter les coûts des combustibles fossiles.
- Sécurité énergétique. Une offre carburants aéronautiques viables, plus variée et mieux répartie sur le globe, contribuerait aussi à réduire la dépendance de nombreux pays à l’égard des producteurs de pétrole, atténuant les tensions géopolitiques tout en réduisant le risque de pénurie.
- Retombées sociales. L’industrie aéronautique pourrait aussi contribuer au développement du secteur des énergies renouvelables, en créant de nouveaux emplois et en faisant progresser la recherche vers un avenir plus respectueux de l’environnement.
LES INCONVÉNIENTS
- Coûts de production. Les carburants aéronautiques durables sont encore peu répandus, et l'utilisation des biocarburants dans l'aviation induit encore des coûts de production élevés – causés en partie par le manque d’infrastructures compétentes et la complexité des protocoles d’approbation.
- Compatibilité. Les alternatives disponibles à ce jour ne sont pas toutes entièrement compatibles avec les conditions de stockage ou de transport actuelles. C’est le cas également pour les moteurs : là où un moteur à combustion de voiture nécessitera généralement une faible demande d'énergie, un moteur d'avion aura, la plupart du temps, tendance à être très gourmand en énergie. Les caractéristiques des carburants pour avions sont en conséquence soumises à des exigences particulièrement strictes, notamment en ce qui concerne leur stabilité thermique ou les risques d’explosion.
- Défis environnementaux. Pour être véritablement respectueux du climat, ces carburants alternatifs doivent avant tout respecter des pratiques durables tout au long de la chaîne de production. Par exemple, la récolte de biomasse comestible doit s’effectuer avec une quantité limitée d’engrais et d'insecticides. L'approvisionnement agricole et la production synthétique doivent inclure une gestion responsable des ressources en eau, tandis que tous les processus chimiques doivent maximiser l'utilisation circulaire des matériaux toxiques.
De l’alcool au carburant : "alcohol-to-jet"
La filière « alcohol-to-jet », ou ATJ, permet de convertir en aérocarburant des alcools comme le méthanol, l’éthanol, le butanol, ou encore des alcools gras à chaîne longue. Peu coûteux, produit partout dans le monde et disposant d’une infrastructure logistique très étendue, l’éthanol est actuellement considéré comme l’alternative la plus prometteuse. Ce processus de conversion débute par la production d'alcools à partir de matières premières issues de la biomasse (canne à sucre ou grains de maïs fermentés), ensuite transformés en carburant par désoxygénation et purification.
- Coup de projecteur. L’entreprise californienne Byogy Renewables est à l’origine de la construction, au Japon, d’une des plus grandes usines de production d’ATJ au monde, dans laquelle le bioéthanol cellulosique est en passe d’être converti en aérocarburant durable. L’entreprise a pour ambition d’utiliser un processus en boucle fermée et zéro émission pour produire un carburéacteur qui n’aura pas besoin d’être mélangé avec du carburant standard.
Transformer de la nourriture en carburant : "Food-to-fuel"
Une autre manière de tirer profit de la biomasse pour rendre l’industrie aéronautique plus écologique : transformer les déchets alimentaires (huile de cuisson, fumier animal ou encore boue d’épuration) en aérocarburant. Cette technique permettrait alors de réduire les émissions de gaz à effet de serre en réutilisant les déchets émettant du méthane (et ainsi en débarrasser les décharges) et en remplaçant les combustibles polluants. D’après une étude récente, ce procédé pourrait réduire l’empreinte carbone de près de 165%. Les déchets humides étant riches en énergie,
des études indiquent qu’ils pourraient être convertis en acides gras volatils, par la suite transformés en carburéacteurs.
- Coup de projecteur. Aux États-Unis, des chercheurs de l’université de Dayton ont collaboré avec le laboratoire national des énergies renouvelables (U.S. National Renewable Energy Laboratory) et ont franchi une nouvelle étape dans la transformation des déchets alimentaires humides en carburant durable. L’étude montre que les déchets humides aux Etats-Unis contiennent suffisamment d’énergie pour remplacer environ 20% de la consommation nationale en aérocaburant, tout en respectant les normes de qualité. L’équipe espère un jour pouvoir mélanger jusqu’à 70% de son produit durable avec du carburéacteur standard.
Hydrogène
Les constructeurs aéronautiques témoignent un intérêt tout particulier aux avancées dans le secteur énergétique de l’hydrogène : des études montrent en effet que cette ressource abondante a le potentiel d’égaler les aérocarburants utilisés actuellement en termes de distance de vol et de charge utile. Avec une capacité énergétique environ trois fois supérieure à celle de l’essence ou du diesel, l’hydrogène – à condition qu’il soit dérivé de ressources renouvelables comme l’énergie solaire ou éolienne – pourrait constituer un carburant d’aviation entièrement renouvelable, qui ne rejetterait que de l’eau dans l’atmosphère.
- Coup de projecteur. Le spécialiste californien des piles à combustible HyPoint a dévoilé la première version prototype opérationnelle de son système turbo d’hydrogène refroidi par air, destiné à alimenter des avions électriques. Un système qui pourra atteindre une puissance de 2 000 watts par kilogramme, soit l’équivalent de deux à quatre heures de vol selon la taille de l'avion et la capacité de stockage de l'hydrogène. D’après les prévisions d’HyPoint, le système devrait être prêt à être testé au début de l’année 2022, en vue d’une commercialisation courant 2023.
Kérosène synthétique
Si le kérosène actuellement utilisé pour alimenter les moteurs à réaction est dérivé du pétrole, il est également possible d’en obtenir une version durable en mélangeant de l'hydrogène et du dioxyde de carbone. En début d’année, le premier vol commercial au monde à être partiellement alimenté par du kérosène synthétique durable a relié Amsterdam à Madrid. C’est dans le centre de recherche de Shell, à Amsterdam, que cette prouesse a vu le jour : de l'hydrogène vert a été mélangé à du CO2, converti en cire synthétique, ensuite découpée en de minuscules molécules qui ont servi de base à ce kérosène durable.
Coup de projecteur. ENGIE s'est associé à la société allemande d'électrolyse Sunfire ainsi qu’à des partenaires de premier plan dans le secteur de l'aviation, afin de créer une filiale française de production de kérosène synthétique. Ce produit sera fabriqué à partir d'électricité renouvelable, d'eau et de CO2 biogénique d'origine locale. La première unité de production verra le jour en Normandie, et une partie du kérosène synthétique sera utilisée à des fins de recherche et de certification par des responsables de l'industrie aéronautique française.