L’enjeu est de taille, car le secteur de l’aviation représente 2 à 3 % des émissions mondiales de CO2, avec une croissance annuelle de 3 à 5 % (avant la crise sanitaire). Dans ces conditions, l’objectif de réduction des émissions mondiales de 50 % d’ici 2050 par rapport à 2005 implique une réduction drastique.
Un autre facteur important incitant l’aviation à engager rapidement sa décarbonation est une opinion publique de plus en plus sensibilisée à cette question, les mouvements de type « flygskam » (« honte de prendre l’avion » en suédois) déclinés dans de nombreux pays en étant la preuve.
Cette urgence est renforcée par la longue durée de développement (10 à 15 ans) et de vie commerciale des avions (25 à 30 ans). C’est pourquoi les principaux constructeurs, avec leurs fournisseurs, étudient plusieurs solutions bas carbone, sachant que la flotte actuelle peut incorporer jusqu’à 50 % de SAF. Deux défis principaux sont à relever : produire des SAF en grande quantité à court terme et les rendre économiquement compétitifs par rapport au carburant actuel. Indépendamment de leur coût, des obligations d’incorporation progressives vont également créer un marché pour les SAF.
Le kérosène a un avantage, sa densité énergétique massique. Elle est la clé des vols commerciaux actuels, car aucune autre option économiquement viable n’existe pour transporter rapidement beaucoup de voyageurs sur de très longues distances. Seuls les SAF, qui peuvent être incorporés partiellement dans le kérosène fossile, sans changer ni les appareils ni la chaîne d’approvisionnement, aideront à s’affranchir de cette dépendance.
Ces substituts consistent en des biocarburants et des carburants de synthèse. Les premiers sont produits à partir de ressources durables, d’où la réduction des émissions de carbone, et ont une chimie très similaire à celle du kérosène fossile traditionnel. Les matières premières utilisées sont généralement l’huile de cuisson et d’autres huiles usées, ainsi que les déchets solides, organiques ou non, des foyers et des entreprises. D’autres sources potentielles sont les déchets forestiers, comme les résidus de bois, et des cultures dédiées à cet usage, notamment des plantes et des algues à croissance rapide. Dans tous les cas, la biomasse serait prétraitée, gazéifiée puis transformée en un substitut parfait du kérosène grâce au procédé de Fischer-Tropsch qui convertit le monoxyde de carbone et l’hydrogène gazeux en hydrocarbures liquides.
Les réductions d’émissions liées aux biocarburants sont réelles, mais elles varient notablement selon l’origine des matières premières. Ainsi, ceux élaborés à partir de cultures de colza, d’huile de palme ou de soja peuvent avoir un impact négatif si l’on tient compte des effets indirects du changement d’affectation des terres : en France, la feuille de route de l’aviation les a exclu. Les biocarburants issus de déchets et de résidus restent pertinents pour l’aviation, mais on peut faire mieux avec des carburants renouvelables d’origine non biologique produits à partir d’énergies renouvelables.
Comme l’hydrogène vert pour les transports routiers, le kérosène de synthèse est produit à partir d’électricité renouvelable. L’idée est la suivante : de l’énergie éolienne ou solaire alimente un électrolyseur qui sépare l’eau en hydrogène (et en oxygène), celui-ci étant ensuite combiné avec du CO2, là aussi selon le procédé de Fischer-Tropsch, pour créer un carburant liquide vert. L’utilisation d’électricité renouvelable permet de tendre vers un bilan carbone neutre en CO2 lorsqu’on tient compte de la source de CO2.
Les ressources nécessaires à la production d’un litre de kérosène de synthèse.
Dans ces deux cas (DAC et biomasse), le carbone émis par les avions avait déjà utilisé par ailleurs : le bilan carbone tend donc bien vers zéro.
Ces perspectives de réduction des émissions de CO2 ne doivent pas occulter le fait que les avions affectent le climat par d’autres phénomènes, comme les traînées de condensation, les cirrus induits et les dérivés d’oxydes d’azote (NOx) qui ont un pouvoir de réchauffement trois fois supérieur à celui du CO2 . Les carburants de synthèse et l’hydrogène limiteront dans une certaine mesure ces effets, mais ils persisteront tant que les avions brûleront des carburants.
Un avion du futur sans impact sur le climat ne sera donc pas un appareil à réaction alimenté par une combustion quelle qu’elle soit. En attendant des technologies révolutionnaires, il importe d’intensifier et de financer la recherche et le développement pour améliorer les avions actuels et diminuer les émissions de carbone dans l’ensemble du secteur. Parmi les pistes suivies, celle des SAF semble prête... à décoller !
Avec plusieurs partenaires, ENGIE étudie comment produire du méthanol synthétique durable (e-Méthanol), à partir d'hydrogène vert et de CO2 produit localement. Il s’agit d’une première étape vers une économie circulaire du méthanol dans les zones portuaires, à la fois comme matière première et comme carburant, par exemple pour le transport maritime. Un premier projet sera situé dans le port d'Anvers, sur le site d'Inovyn, un second, toujours en mer du Nord, s’installera près de la centrale électrique d'ENGIE Rodenhuize. Pour obtenir des financements, les deux projets sont proposés pour l'IPCEI H2 et le Fonds d'innovation.
Un article rédigé par Elodie Le CADRE-LORET (ENGIE RESEARCH), Laurence BOISRAME (DIRECTION DE L’INNOVATION STRATÉGIQUE ET DE LA DISRUPTION), Samuel SAYSSET (ENGIE RESEARCH), Julien COLAS (BU H2) and Bob VAN SCHOOR (ENGIE GÉNÉRATION EUROPE) pour le Magazine Pour la Science.
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