Je ne pense donc pas que nous devrions décarboner, je pense que nous devons dé-fossiliser.
Jan Mertens
Pour moi, il existe trois voies pour parvenir à la dé-fossilisation, et sans doute une quatrième.
Souvent, lorsque l’on franchit la deuxième étape, celle de l’électrification, on passe en même temps la première étape. Une voiture électrique est trois ou quatre fois plus efficace qu’une voiture à combustible fossile ou à essence. Et c'est la même chose pour le chauffage, avec les pompes à chaleur on peut gagner en efficacité de l’ordre d'un facteur trois en fonction de la température. C’est là que je vois actuellement les plus gains les plus rapides et les plus importants. Qui dit rapides ne dit pas forcément faciles. Il ne s’agit pas seulement de technologies, nous devons également penser acceptabilité sociale. Tout le monde ne peut pas passer aux pompes à chaleur du jour au lendemain. Les personnes qui resteront le plus longtemps raccordées au réseau de gaz sont celles qui vivent dans des immeubles locatifs, avec au mieux une chaudière à gaz et au pire une cuve à mazout. On ne peut pas dire à ces gens-là : « Il faut installer une pompe à chaleur maintenant ». Tout d'abord, ce sont pour la plupart des maisons en location, qui ne sont pas bien isolées, peu adaptées au chauffage basse température et donc aux pompes à chaleur. L’aspect social ne doit donc pas être oublié dans ce processus.
Karel Volckaert
Non, c’est l’une des principales observations que nous avons faites jusqu’à présent. Technologiquement, la plupart des gens nous assurent que nous allons y arriver. Le problème sera ailleurs. Qui a réellement la clé ? Qui est au volant ? Qui coordonne cette transition ? D’où vient l’impulsion à votre avis ?
Jan Mertens
Je pense que nous devons le faire ensemble et que cela se produit trop peu.
Je vais donner un exemple sur l'hydrogène en Europe. Pour obtenir le label « hydrogène vert », et éventuellement obtenir les subventions nécessaires aujourd’hui pour faire décoller ce marché, les quantités d’électricité verte utilisées pour produire de l’hydrogène (en divisant l’eau en hydrogène et oxygène) et celles d’hydrogène vert produit doivent correspondre au niveau mensuel. Cela signifie que si je produis 100 kilowattheures d’électricité verte ce mois-ci, je peux produire 60 kilowattheures d’hydrogène (n’oubliez pas que j’en jette 40 %). À partir de 2030, je crois qu’il est prévu que cette concordance se fasse au niveau horaire. Cela signifie que la production d’électricité verte doit se faire simultanément à la production d’hydrogène. Cela rend complètement impossible tout business plan.
Nous devons y réfléchir beaucoup plus ensemble, car bien sûr nous sommes d’accord sur le but final. Mais au cours de cette période de transition, il faudrait être un peu plus tolérants pour permettre au marché de décoller. Et j’ai l’impression qu’il existe aujourd’hui un grand nombre de ces obligations réglementaires qui, en elles-mêmes, constituent un objectif ultime, mais qui, au cours de cette période transitoire pourraient empêcher les entreprises ou les nouvelles technologies de percer.
Karel Volckaert
Une de vos présentations récentes commençait par une citation de David Bowie : « Loving the alien ». Quel est cet alien que nous devrions aimer ?
Jan Mertens
L'extraterrestre auquel je fais référence est le CO2. Nous ne devons plus considérer le CO2 comme un simple problème, mais bien comme une ressource. Nous aurons besoin de CO2 pour notre troisième étape, après l'efficacité, après l'électricité. Nous aurons besoin de CO2 pour fabriquer les molécules de nos produits chimiques, de nos plastiques, de nos avions, pour stocker l’énergie à long terme entre les saisons, pour faire voler des avions sur de longues distances. Des usages, que malheureusement, je pense que nous ne parviendrons pas à dé-fossiliser avec les deux premières étapes : l’efficacité énergétique et l’électrification. Nous aurons besoin de cette troisième étape des molécules, dans laquelle le CO2 jouera un rôle très important, de même que l’hydrogène. Et comme l’hydrogène également en tant que matière première. C'est pourquoi je n'ai pas peur de choquer en titrant : « Loving the alien » ou « comment nous devrions montrer notre affection au CO2. »
La durabilité est une combinaison des impacts environnementaux, économiques et sociaux. J’aimerais aller un peu plus loin sur la neutralité carbone. Je pense que, consciemment et inconsciemment, il existe de nombreuses interprétations différentes autour de ce « mot à la mode ». Même le GIEC déclare : « avant tout, nous devons effectivement réduire, arrêter d'émettre 90 à 95 % des émissions de CO2. Et la dernière partie des 40 gigatonnes que nous émettons actuellement, soit les cinq dernières gigatonnes, nous devrons peut-être effectivement les compenser pour pouvoir atteindre le net zéro. »
Aujourd’hui, certaines entreprises interprètent cela différemment. Elles s’engagent à atteindre la neutralité carbone, mais au lieu de cesser d’émettre du CO2, elles compensent et utilisent des technologies à émissions négatives pour continuer à vendre ou à utiliser des combustibles fossiles. Captage direct de l'air avec stockage du CO2, plantation de forêts, biochar, il existe différentes technologies qui leur permettent d'extraire le CO2 de l'air de telle manière qu'elles puissent continuer à faire ce qu'elles ont toujours fait en gagnant beaucoup d'argent : vendre des combustibles fossiles.
Et je pense que c’est là le danger du terme « zéro net ». Je sais qu'il y a des discussions sur la possibilité de cesser d'utiliser ce terme, car une réduction des émissions de 95 % reste la priorité. Et puis compenser ces 5 % restants, ou utiliser les émissions négatives pour atteindre le zéro net.
Parler de Net zéro sans savoir quelle est la stratégie de cette entreprise, de cette région, de ce pays, est-ce vraiment parler de zéro émission ? La réduction des émissions est-elle incluse, oui ou non ?
Vers une 4ème voie
Je pense que nous devons ajouter une quatrième voie et l’introduire de plus en plus dans le débat. Comment pouvons-nous éliminer de l’air les 5 % de CO2 restants ? La capture directe de l’air, par exemple, est quelque chose que nous pouvons beaucoup améliorer technologiquement. Comment pouvons-nous restaurer correctement les forêts, reboiser ou planter de nouvelles forêts ? Comment pourrions-nous utiliser les océans pour stocker une partie de notre CO2 de manière durable, sans impact sur la biodiversité ? On sait très peu de choses à ce sujet. Parce que c’était un peu tabou dans le passé.
Je pense que nous devons nous débarrasser du tabou et nous demander « Comment pouvons-nous éliminer le CO2 de l’air ? » Jusqu’à présent, personne ne s’y était vraiment intéressé. Aujourd’hui, nous voyons de grandes entreprises s’y lancer, mais malheureusement pour de mauvaises raisons, car elles pensent qu’en compensant leurs émissions ou en capturant le carbone, elles n’auront pas à les réduire de 90, 95 %. Nous devons nous éloigner de ce tabou, nous devons y travailler, nous devons accélérer, mais seulement pour les derniers 5 % d’émissions, pas pour les 95 % . C'est la quatrième étape que je devrais ajouter à mon discours.
Je ne pense pas que nous ayons besoin de décarboniser, car je ne pense pas qu'il soit possible de vivre sans carbone, sans plastique, sans produits chimiques, sans bois, dans notre société. Je ne pense donc pas que nous devrions décarboner, je pense que nous devons dé-fossiliser. Nous devons cesser autant que possible de prélever des ressources fossiles. C'est une distinction importante et c'est là que le CO2 et l’hydrogène joueront un rôle crucial en tant que ressources et éléments constitutifs.
Un mot de Jan Mertens
J'ai eu le grand plaisir de m'entretenir dans un format podcast, ce qui était plutôt nouveau pour moi, avec Karel Volckaert, COO d'Itinera, un célèbre Think Tank belge.
Nous avons parlé de la transition énergétique et des défis climatiques en général. J'ai vraiment apprécié l'atmosphère ouverte dans laquelle s'est déroulée la conversation. Le fait que nous n’ayons pas décidé ni préparé les questions à l’avance a conduit à une discussion spontanée et informelle. J'espère que vous pourrez ressentir cette spontanéité dans le a traduction française ci-dessous. Si vous comprenez le néerlandais, le podcast d’origine peut être écouté ici :
J’espère que vous apprécierez cette transcription. Si vous avez des questions, n’hésitez pas à nous contacter en commentaire.
Jan Mertens
Chief Science Officer ENGIE Research And Innovation - Professor at University of Ghent
Ecouter le Podcast (en NL) ou lire les autres articles de la série en français : 1 - L'avenir énergétique est pluriel et 2 - Des émissions aux ressources et 3 - Loving the alien : pourquoi nous ne voulons pas de zéro carbone
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