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Comment surmonter la pression sur les ressources naturelles ?
Podcasts 30/05/2023

Comment surmonter la pression sur les ressources naturelles ?

Dans ce 3ème épisode de nos podcasts sur le futur de l’énergie, Erik Orsenna reçoit Koenraad Debackere, administrateur de la société Umicore, professeur à l’Université catholique de Louvain et membre du Conseil Scientifique d’ENGIE.

Nous devons envisager la transition énergétique de manière très systémique, de manière à ne pas regarder uniquement la voiture qui résout le problème, mais aussi les problèmes liés aux matériaux que la voiture crée et que nous devons également résoudre.

Les solutions à venir sont liées à ce que nous appelons l'intensité des matériaux, la substitution des matériaux, le recyclage et la relocalisation.

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Erik Orsenna

Aujourd’hui nous avons la grande chance de rencontrer un monsieur formidable. Il y a 5 ans, j’avais fait le tour d’Europe de toutes les usines qui recyclaient. Et j’en avais trouvé une particulièrement intéressante, au sud d’Anvers, en Belgique, qui à partir des micro morceaux de tous nos outils du quotidien, portables, etc, réussissait à en tirer des lingots d’argent et d’or. Cette société s’appelle Umicore et elle crée des trésors à partir de nos déchets. La personne avec qui nous allons parler aujourd’hui s’appelle Koenraad Debackere, il est administrateur d’Umicore et professeur à l’Université catholique de Louvain. 
Bonjour Koenraad, heureux de vous retrouver. 

Koenraad Debackere

Bonjour Eric. 
Effectivement, je suis impliqué depuis pas mal de temps dans les problématiques liées au changement climatique et les enjeux liés à la transition énergétique. En tant que membre du Conseil Scientifique d'ENGIE, nous cherchons comment atténuer les défis posés par le changement climatique. Hier, l'Observatoire Copernicus de la Commission européenne a publié un rapport montrant que ce réchauffement prend des proportions importantes en Europe. Cela signifie que la décarbonation de nos économies et de nos sociétés est d'une extrême importance, et que par conséquent, nous avons besoin de beaucoup de nouvelles sources d'énergie, des sources d'énergie renouvelables comme par exemple le photovoltaïque, l'énergie solaire, l'éolien et les nouveaux carburants que nous appelons E-carburants car ils sont développés de manière durable. L'hydrogène est un exemple de carburant non carboné. Il y a aussi des évolutions importantes dans le domaine des petits réacteurs nucléaires et la fusion.
Toutes ces différentes technologies doivent nous aider à franchir le cap de la transition énergétique à laquelle nous sommes confrontés.
Lorsque nous parlons de transition énergétique, nous devons faire face à différents goulots d'étranglement, liés à la faisabilité économique, à l'acceptation sociale, à l'état de la technologie et à la disponibilité des matériaux. Quand on regarde l'électrification, qui sera l'un des vecteurs majeurs de notre transition énergétique, il est important de se rendre compte que les matériaux vont devenir le nouveau pétrole. Nous aurons besoin de beaucoup de matériaux pour pouvoir réaliser les électrifications dont nous avons besoin afin d'éviter l'utilisation d'énergies fossiles.
Pour vous donner un exemple, pour un véhicule électrique moyen aujourd'hui nous avons besoin d'environ 200 kg de matériaux , des matériaux spéciaux, des matériaux rares qu'il faudra déployer pour fabriquer et produire cette voiture électrique.


Erik Orsenna

Koenraad, est-ce que vous pourriez redire ce chiffre qui est absolument important, parce qu’on a toujours l’impression qu’on est dans des processus magiques, qu’il suffit de dire 3 mots et qu’on va brutalement arriver à électrifier toutes nos voitures, sans se rendre compte des efforts incroyables et de tous les matériaux nécessaires pour arriver à ce soi-disant miracle. 
Ce miracle se construit, il a un coût et représente des efforts énormes. 

Koenraad Debackere

Oui, tout à fait. 
L'une des composantes importantes de l'électrification est notre mobilité, et donc les voitures électriques. Si nous prenons les moteurs à combustion interne que nous utilisons tous aujourd'hui, ils ont besoin d'environ 40 kg de matériaux spéciaux par véhicule. Si nous parlons de voitures électriques, nous avons besoin de plus de 200 kg par véhicule de matériaux comme le cobalt, le nickel, le manganèse, le lithium. Cela veut dire que l'électrification est une solution à la transition énergétique, mais en même temps elle crée un défi énorme côté matériel, passant de 40 kg à 200 kg, voire plus de 200 kg par véhicule. C'est un défi que nous devrons relever, et c'est pourquoi nous devons envisager la transition énergétique de manière très systémique, de manière à ne pas regarder uniquement la voiture qui résout le problème, mais aussi les problèmes liés aux matériaux que la voiture crée et que nous devons également résoudre.
Pour vous donner un autre exemple sur l'énergie solaire. Si nous voulons passer de l'utilisation actuelle des énergies fossiles à l'électrification et aux énergies renouvelables, il faudra installer chaque année 1 térawatt pic d'énergie solaire dans le monde, et certainement en Europe, d'ici 2030. Et cela signifie que nous aurons besoin de 56 millions de tonnes d'acier, 47 millions de tonnes de béton et 42 millions de tonnes de verre pour y parvenir. C’est-à-dire 14% de la production mondiale actuelle de verre. L'acier et le ciment sont des matériaux très difficiles à décarboner. Ce qui veut dire que nous sommes confrontés à un énorme défi d'innovation systémique. Nous avons besoin de l'énergie solaire, nous devons installer l'énergie solaire, mais pour ce faire, nous aurons besoin de beaucoup de matériaux, et certains de ces matériaux créeront leurs propres défis pour être décarbonés.

Erik Orsenna

Ce qui veut dire au fond, qu’une multiplicité de sources d’énergie va remplacer les 2-3 sources que nous connaissions. C’est une bonne nouvelle, mais ce qui est plus difficile à gérer, c’est que chacune de ces sources n’est pas unique mais doit être intégrée dans une réflexion en terme de système. C’est tout une chaîne de production qui doit être mise en œuvre pour arriver à rendre efficace cette source.

Koenraad Debackere

En effet, vous avez tout à fait raison. Si on regarde les grandes sources d'énergie renouvelable, l'électrification qui est reliée aux batteries lithium-ion, l'éolien, le solaire et l'hydrogène, ce sont des solutions, mais ce sont des solutions qui créent leurs propres défis dans leurs chaînes d'approvisionnementL'un de ces défis, comme nous l'avons dit, est lié aux matériaux. Pour ne parler que des batteries, nous voyons que le monde est dominé par la Chine, tant du point de vue de la fabrication que des matériaux. Ce qui introduit un autre défi des énergies renouvelables et de leurs implications matérielles, celui de la géopolitique. Les tensions entre les trois grandes puissances mondiales, États-Unis, Europe et Chine, créent de nouveaux défis également en matière de matériaux, d'atténuation du changement climatique et de transition énergétique.
Quand on pense batteries, éolien, photovoltaïque ou hydrogène, on est face à quatre solutions qu'il va falloir développer et qui vont demander beaucoup d'investissements, beaucoup d'ingéniosité, mais aussi beaucoup d'acceptation sociale.
Les solutions à venir sont liées à ce que nous appelons l'intensité des matériaux, la substitution des matériaux, le recyclage et la relocalisation.

Erik Orsenna

Vous avez mentionné deux questions absolument clé :
- la question géopolitique, parce que la transition avait aussi pour objectif d’être moins dépendants de pays qu’on considérait comme un peu difficiles, par exemple les pays du Golfe
- la condition que pour se décarboner notre société accepte l’ouverture de mines. Or on sait que les mines sont évidemment très agressives vis-à-vis de l’environnement. 
Il faut savoir ce qu’on veut. Est-ce qu’on veut décarboner, et dans ce cas accepter des atteintes à l’environnement, ou est-ce qu’on ne veut pas décarboner car on refuse les mines. La question de l’acceptabilité est absolument clé. Il y a la géopolitique d’un côté avec l’acceptabilité de la dépendance, et de l’autre côté la question des mines, donc l’acceptabilité d’une certaine atteinte à l’environnement pour essayer de sauver notre planète.

Koenraad Debackere

Absolument, et nous relevons ces défis tous les jours. Il suffit de penser à la Commission européenne, à la loi européenne sur les matières premières. La Commission européenne est convaincue que nous devrons avoir recours à l'exploitation minière en Europe. Si l’on parle d'extraction du lithium, vous voyez qu'il y a beaucoup d'agitation sociale, beaucoup de turbulences, beaucoup de questionnements pour savoir si c'est socialement acceptable ou non. Si nous n'y prenons pas garde, nous nous retrouverons entre le marteau et l'enclume. Nous voulons décarboner, mais pour décarboner, nous avons besoin de solutions qui s'accompagnent d'enjeux géopolitiques, d'enjeux technologiques et d'enjeux d'acceptation sociale.

Erik Orsenna

Il y a un point aussi qui est important, c’est que nous sommes dans un état d’urgence, et que faire accepter, ça prend du temps. Notamment à cause des accompagnements juridiques, des procédures normales dans un pays démocratique.

Koenraad Debackere

C'est tout à fait vrai, et cela signifie également que l'Europe, et certainement les pays européens, devront prendre en compte jusqu'où ils vont avec certains types de procédures administratives, quel degré d'appel allez-vous permettre afin de construire l'acceptation sociale dont vous avez besoin . Ce n'est pas un équilibre facile, et ce sera un grand défi pour nos sociétés démocratiques d'être démocratiques, une valeur européenne que nous chérissons tous, tout en s’assurant que nous pourrons parvenir à des conclusions et intervenir dans un délai raisonnable. Parce que 2050 est proche, et si vous avez besoin de faire des investissements, cela prend du temps.
Cependant, il ne s'agit pas seulement des investissements. J’ai mentionné quatre solutions : l'intensité des matériaux, la substitution, le recyclage et la relocalisation. Si nous voulons devenir moins dépendants des plus de 200 kg de matériaux spéciaux dont nous avons besoin dans une voiture électrique, si nous voulons devenir moins dépendants de l'exploitation minière ou des tensions géopolitiques, nous devons recycler ces matériaux.
Le recyclage de ces matériaux pose également un certain nombre de défis. Le premier défi est technologique. Nous avons une bonne idée de ce que pourraient être les différentes technologies, mais aujourd'hui, nous continuons à expérimenter. Nous n'avons pas encore identifié la technologie gagnante qui offrira le meilleur rendement économique de recyclage technologique. Cela viendra assez rapidement, d'ici un an ou deux nous en saurons beaucoup plus, mais nous sommes toujours en phase d'expérimentation technologique.
Cependant, même une fois la technologie disponible nous devons prendre en compte la durée de vie de la voiture, car nous avons besoin d'un approvisionnement suffisant en batteries usagées pour créer et entretenir la boucle. Dans la chaîne de valeur, entretenir la boucle entre les batteries usagées et les nouvelles matières premières nécessite une quantité suffisante de batteries usagées.
Aujourd'hui, nous ne faisons que débuter la vague des véhicules électriques, il faudra cinq à sept ans avant d'avoir des niveaux d'approvisionnement suffisamment importants de batteries usagées. Et même là, il y a encore de l'incertitude car, par exemple, on ne sait pas encore quelle sera la seconde vie d'une voiture électrique. Le premier utilisateur de la voiture peut l’utiliser la voiture pendant cinq, six ans, mais une voiture électrique d'occasion peut encore vivre pendant deux, trois, quatre, cinq ans. Il faudra donc 5 à 10 ans pour que l'offre se stabilise afin d'avoir un impact significatif sur la circulation des matériaux et le recyclage.
Nous devons augmenter nos capacités de recyclage ce qui représente un investissement énorme. Cet énorme investissement s'accompagne également d'une réduction des risques de l'investissement, qui est lié à l'approvisionnement en batteries usagées.
La quatrième et dernière variable qui entre en jeu est l'organisation. Comment allons-nous organiser la logistique du processus de recyclage ? A qui appartiendra la batterie usagée ? A l'entreprise automobile ou à une entreprise indépendante ? Comment sera organisée la collecte ? Nous continuons à développer ces modèles de développement de l'écosystème.
Comme vous venez de le mentionner, cela prend du temps alors qu'il est urgent d'avancer, mais comme le dit la belle phrase française que j'aime tant, "Le temps n'accepte pas ce qui se fait sans lui". Eh bien, dans le cas du recyclage, nous aurons besoin de temps pour éliminer les risques et gérer tous les goulots d'étranglement auxquels je faisais référence. Il est donc évident que boucler la boucle, travailler sur de nouvelles chaînes de valeur offre des opportunités, fait partie de la solution, mais pose en même temps pas mal de défis auxquels nous devrons faire face.
Ensuite, il n'y a pas que la question du climat et de la transition énergétique, mais il y a aussi la question de l'impact environnemental. La Commission européenne vient d'adopter une nouvelle législation sur la biodiversité, par exemple, mais nous devons comprendre que bon nombre de technologies, par exemple liées au recyclage, s'accompagnent également de nouveaux défis environnementaux, comme l’utilisation de de l'eau ou de réactifs, des produits qui ont aussi leur impact environnemental spécifique.
Cela signifie que oui, nous savons où nous allons et pourquoi nous allons dans cette direction. Nous savons également quelles sont les solutions, mais celles-ci ne sont pas encore complètement en place et même si nous savons ce qu'elles sont d'un point de vue technique, elles nécessitent encore beaucoup de travail d'un point de vue technologique et organisationnel.
Je faisais référence à la diminution de l'intensité des matériaux des sources d'énergie comme les batteries que nous utiliserons. En diminuant l'intensité des matériaux nous utiliserons moins de matériaux, moins de kilogrammes de matériaux par voiture. Ici encore cette réduction de l'intensité des matériaux nécessite beaucoup de recherche technologique, beaucoup de développement pour y parvenir. L'Europe doit aller dans ce sens car, comme nous l'avons dit, les défis géopolitiques, environnementaux, climatiques nous y obligent. Pour mettre en place cette circularité, comprendre la nouvelle organisation des chaînes de valeur dans les scénarios de transition énergétique sera d'une extrême importance. Heureusement, beaucoup d'entreprises, de chercheurs et d'investisseurs travaillent dans cette direction. Malgré tout, ce n'est pas une affaire conclue ; c'est un travail en cours qui demandera encore beaucoup d'ingéniosité et beaucoup d'efforts.

Erik Orsenna

Merci Koenraad. J’ai eu des professeurs nombreux et d’une immense qualité, mais un professeur comme vous, je crois n’en avoir jamais eu. 
Ce que je retiens, au fond, quand vous parlez de chaîne de valeur, de logistique, de circularité, vous parlez de systèmes et non d’une solution unique. En racontant ça, vous dressez le portrait de la vie même. Parce que la vie c’est de l’interrelation, c’est un cercle, et aussi évidemment des systèmes. 
Vous montrez bien que c’est notre société elle-même qui est challengée, et doit se doter de conceptions différentes de l’espace et du temps, avec la possibilité, qui n’est pas gagnée, pour nos démocraties d’intégrer l’urgence dans le long terme tout en accélérant. 
Ce que je retiens aussi, c’est la notion d’échelle . Quelle est la bonne échelle de temps, la bonne échelle d’espace ? Ceux qui pensent qu’un seul pays pourra réussir cette transition sans liens avec les autres, et bien ceux-là  sont dans l’erreur la plus folle et l’illusion la plus totale. Votre démonstration est aussi un plaidoyer pour l’Europe. Si nous ne voulons pas de dépendance, il nous faut un espace suffisamment large pour y trouver ce dont nous avons besoin, et cet espace c’est évidemment l’Europe. 
Koenraad, un immense merci. 

Koenraad Debackere

Un grand merci à vous aussi.
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