L’importante capacité qu’ont les océans à séquestrer le CO2 a accru l’intérêt pour les technologies permettant d’améliorer le stockage du carbone dans les océans en extrayant le CO2 de l’eau des océans.
Par conséquent, l’élimination du CO2 de l’eau de mer permettrait indirectement d’éliminer le CO2 présent dans l’air. Cette approche est appelée Capture directe du carbone de l’océan (DOC : Direct Ocean Capture) par analogie avec la Direct Air Capture (DAC) dont elle constitue une sorte d’alternative. Alors que la DAC reste un défi en raison des faibles concentrations de CO2 dans l’air, la DOC bénéficie de la concentration 125x plus élevée de CO2 dans l’eau de mer. Lorsque le carbone inorganique dissous est éliminé de l’eau de mer, l’eau de mer décarbonée rétablit l’équilibre en réabsorbant le CO2 de l’atmosphère.
Comment l’océan capte-t-il le CO2 ?
Aujourd’hui, 23 % des émissions de CO2 finissent dans les océans, où elles sont principalement stockées sous forme d’ions bicarbonate et carbonate. La concentration de CO2 dissous sous forme de carbonates dans l’eau des océans est près de 125 fois supérieure à sa concentration atmosphérique.
Bien que les océans puissent capturer et stocker le CO2 sous forme de carbonates à l’échelle des temps géologiques, les taux d’émission de CO2 d’origine anthropique sont trop rapides pour que les océans puissent les compenser ; ces taux perturbent par ailleurs l’équilibre entre les différentes formes de stockage océanique du carbone. Lorsque le CO2 réagit avec l’eau, il forme d’abord de l’acide carbonique dont la majeure partie est ensuite transformée en ions bicarbonate et en ions carbonate. Les deux réactions libèrent des protons, ce qui explique le fait que l’augmentation rapide des concentrations atmosphériques de CO2 entraîne une acidification des océans. Avec la réaction inverse (du carbonate vers le bicarbonate et du bicarbonate vers le CO2 ), des protons sont consommés.
Lorsqu’une réaction chimique implique la libération/consommation de protons, l’équilibre de la réaction dépend du pH. Le diagramme de Bjerrum ci-dessous illustre comment le pH régit l’équilibre dynamique du CO2 et les formes de stockage de bicarbonate/carbonate dans l’océan. À un pH océanique moyen d’environ 8,2, plus de 90 % du CO2 présent dans l’eau de mer prend la forme de bicarbonate.
Le diagramme montre également que l’acidification de l’eau de mer entraînera la conversion du bicarbonate en CO2 qui sera libéré dans l’atmosphère sous forme de gaz. L’alcalinisation de l’eau de mer, en revanche, favorise la conversion du bicarbonate en ions carbonate, qui constituent une forme de stockage moins soluble du carbone inorganique que l’on trouve principalement sous forme minérale et qui contribue à la formation des coraux et des coquillages.
Application d’une oscillation contrôlée de pH pour extraire le CO2 de l’eau de mer
Pour récupérer le CO2 présent dans l’eau de mer, la capture directe du carbone dans l’océan peut tirer parti de l’effet du pH sur l’équilibre entre les différentes formes de carbone inorganique dissous. Deux méthodes sont possibles :
- Une baisse du pH convertit le bicarbonate en CO2 qui est ensuite extrait de l’eau de mer par des contacteurs membranaires. Après neutralisation du pH, l’eau de mer traitée, dont la capacité d’absorption du CO2 a été rétablie, est renvoyée dans l’océan.
- Une augmentation du pH convertit le bicarbonate en carbonate qui peut alors être précipité sous la forme minérale de CaCO3/ MgCO3, et le CO2 peut alors être récupéré par chauffage à partir de ces formes minérales.
Les produits chimiques permettant les variations contrôlées du pH nécessaire à la désorption peuvent être produits in situ par des procédés électrochimiques qui convertissent l’eau et les sels présents dans l’eau de mer en un courant acide et un courant basique.
Principaux avantages et défis
- Le CO2 capturé dans l’atmosphère grâce à la DOC peut être considéré comme du « carbone non fossile » et servir à fabriquer des produits chimiques, des matériaux et des combustibles à l’aide d’énergies renouvelables. La DOC promet donc non seulement d’ouvrir la voie à une technologie à émissions négatives, mais aussi de créer une nouvelle économie du carbone qui ne repose pas sur les ressources fossiles.
- Le CO2 (sous forme de bicarbonate) présent dans l’océan est 125x plus concentré que dans l’atmosphère. Par conséquent, l’empreinte au sol des technologies de capture directe du carbone à partir des océans est bien plus faible que celle de la capture directe dans l’air.
- L’élimination du CO2 dissous dans l’océan pourrait compenser la tendance à l’acidification des océans et être bénéfique pour l’écologie marine
- Synergies avec le dessalement / l’extraction de saumure. Les effluents d’une usine de dessalement, aujourd’hui considérés comme des déchets, peuvent être transformés en une ressource précieuse. La saumure de dessalement peut contenir jusqu’à deux fois plus de CO2 que l’eau de mer moyenne et le traitement de ces effluents en vue d’en capturer le CO2 permet de réduire davantage l’empreinte au sol. Les effluents décarbonés (ou saumure), riches en minéraux et en matières premières essentielles, sont un substrat idéal pour l’exploitation de minéraux à partir d’eau de mer.
- Sur la base de la concentration de carbone inorganique dissous dans l’eau de mer (2 mM), une quantité considérable d’environ 10 000 à 15 000 m³ d’eau de mer doit être traitée pour chaque tonne de CO2 séquestrée. À partir des effluents issus du dessalement : environ 5 500-7 500 m3/tCO2.
Acceptabilité sociale
Un fort attachement aux océans et des incertitudes entourant ces technologies limitent leur acceptabilité. Les activités telles que la capture directe du carbone de l’océan peuvent être perçues négativement comme une tentative de « manipulation de la nature ». Cette perception n’est pas liée à un niveau de connaissance spécifique des océans. Malgré l’absence d’études de cas réels pour gérer les enquêtes en sciences sociales, les scientifiques ont identifié diverses sources de controverse liées à la capture directe du carbone de l’océan, sur la base de l’analyse de technologies analogues.
Le public craint les incertitudes liées aux impacts de ce type de technologies et aux risques associés. En outre, il souligne la difficulté d’atténuer les risques dans un espace aussi vaste que les océans.
Bien que la mise en œuvre de ces technologies puisse avoir des effets bénéfiques à l’échelle mondiale sur l’atténuation du changement climatique, elle risque néanmoins de perturber les écosystèmes locaux.
Carte des principaux projets pilotes et de démonstration
Pour en savoir plus sur les énergies marines et découvrir
les principales technologies innovantes liées
à l’océan, leurs avantages et leurs enjeux dans le rapport 2024 d'ENGIE
sur les technologies émergentes durables :
Contributions et Remerciements
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- Ngoc Han
Huynh Thi
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Metayer
- Jonas
Pigeon
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- Elodie Le Cadre Loret
- Jan Mertens
- Jean-Pierre Keustermans
- Céline Denis
- Olivier Sala